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James Conlon et l’Orchestre National - Une grande Cinquième - Compte-rendu


Fausse bonne idée : enchaîner, en priant le public de ne pas applaudir, Unfinished Journey de Bechara El-Khoury et le Concerto pour violon de Britten, au prétexte que leurs tonalités se joignent sans heurt.

Or, le thrène gris écrit avec art par El-Khoury et le songe noir, hanté, du Concerto de Britten n’ont strictement rien à voir. Pour l’œuvre d’El-Khoury, hommage à Menuhin, Daniel Hope produit un son contenu, murmuré, à la fois intense et sur la réserve, qui va comme un gant à l’entre chien et loup de cette page élégiaque. Le compositeur ne lui demande aucune prouesse technique, mais beaucoup de sens.

Pour le Britten, il en va tout autrement. Daniel Hope, qui, avec Janine Jansen (1), est l’un des rares aujourd’hui à l’oser, ne le joue probablement pas assez. Pas assez en tous cas pour que sa main gauche ne poursuive en vain les doubles croches du périlleux Vivace. Traits escamotés, justesse plus d’une fois incertaine dans la chaconne, on entendait pourtant l’esprit de l’œuvre sinon sa lettre absolue, preuve incontestable d’une familiarité du violoniste avec cette partition qu’il a d’ailleurs enregistrée (2). James Conlon calait aussi bien qu’il le pouvait les réparties et les interjections du National mais sans vraiment déployer les atmosphères dont Britten sature son orchestre.

Dès les premières mesures de la Cinquième Symphonie de Chostakovitch on comprenait à quelle œuvre les répétitions avaient d’abord été dévolues. Même en sachant que l’orchestre possède intimement cette partition travaillée d’arrache-pied avec Kurt Masur, on était littéralement renversé par le propos, la tension, les éclairages, les phrasés que James Conlon imposait.

Lecture âpre, dessinée, précise et évocatrice à la fois, d’une intensité émotionnelle rare qui nous rappelle quel chef d’envergure il a toujours été, et plutôt au concert qu’à l’opéra. Admirable dans chacun de ses pupitres, le National le suit avec un engagement qu’on ne lui connaît pas toujours. Cerise sur le gâteau, Sarah Nemtanu transforme son solo de l’Allegretto en un exercice de haute école, où tirés et poussés deviennent des pas de ballerine, ironiques et poétiques à la fois. On sortait du concert en se disant que si Radio France avait la moindre politique éditoriale cette Cinquième serait bien vite dans les bacs des disquaires. Mais il ne faut pas rêver.

Jean-Charles Hoffelé

(1)Janine Jansen a donné le Concerto de Britten avec l’Orchestre de Paris cette saison, alors même qu’elle en proposait au disque une version admirable sous la baguette de Paavo Jarvi avec l’Orchestre Symphonique de Londres (1 CD Decca 4781530, couplé avec le Concerto de Beethoven)

2) 1 CD Warner 256460291-2, couplé avec le premier enregistrement de la version originale du Concerto à la mémoire d’un Ange d’Alban Berg.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 12 mai 2011

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Photo : DR

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