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Festival Musique des lumières de Sorèze - Quand Les Eléments reçoivent Elyma - Compte-rendu
Située au pied de la Montagne Noire, l'Abbaye-école de Sorèze – l'abbaye fut fondée en 754 – devint en 1776 l'une des douze écoles royales militaires du royaume. D'abord dirigée par les Bénédictins (école dite alors Séminaire, 1682) puis par les Dominicains lorsqu'en 1854 Lacordaire, rénovateur de l'Ordre des Prêcheurs, en prit la direction (il y mourut en 1861), l'abbaye-école fut un haut lieu d'enseignement « moderne », rayonnant bien au-delà du Languedoc et même des frontières nationales. Déodat de Séverac (le tertre de Saint-Félix-Lauragais est presque voisin) ou Claude Nougaro (brièvement !) y furent élèves, mais aussi l'écrivain Jean Mistler, natif de Sorèze : ministre des Postes, c'est sous son impulsion que fut créé, en 1934, l'Orchestre National de France, alors dénommé Orchestre national de la Radiodiffusion française.
La tradition s'est maintenue jusqu'en 1991, date de la fermeture de l'établissement. Que fallait-il faire de ces 15 000 mètres carrés bâtis et six hectares de terrain ? L'actuelle vocation de l'abbaye-école témoigne d'un remarquable exemple de volonté politique concertée, en dépit des difficultés de gestion locale inhérentes à sa position géographique : située à la jonction de trois départements (Tarn, Haute-Garonne et Aude) et de deux régions (Midi-Pyrénées et Languedoc-Rousillon) auxquels s'ajoute de manière active la commune de Sorèze, l'Abbaye-école est depuis 1993 la propriété d'un syndicat mixte fédérant ces divers intervenants. Sa mission : la conservation de cet imposant patrimoine, formidablement restauré, et le développement d'activités culturelles et touristiques.
Depuis maintenant neuf ans a lieu dans une belle diversité de lieux – Cour des Rouges, Chapelle, Salle des Bustes (ou des Illustres), Auditorium, « Abbatiale » et jusque sur la place du bourg qui a grandi autour de l'abbaye – le Festival Musique des lumières, dont Joël Suhubiette – 2011 est sa sixième saison – est directeur artistique. D'une diversité sans cesse renouvelée, la programmation se veut éclectique. Ainsi pour cette année : musique de chambre avec le Quatuor Ludwig, Clara Cernat (violon) et Thierry Huillet (piano) ; musique contemporaine avec les Percussions de l'Orchestre National de France – tout un symbole à Sorèze ; opéra avec Rigoletto de Verdi par la compagnie Opéra Éclaté ; musique baroque avec Christine Plubeau et Mieneke van der Velden, violes de gambe ; « musiques du monde » (perse, judéo-espagnole, ibérique et trouvère française) par l'Ensemble Constantinople et la soprano Françoise Atlan ; musique symphonique avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par Jaime Martin. En complément, pour la troisième année consécutive (Mozart en 2009, Haendel en 2010), l'Académie d'été du Festival proposait à une trentaine d'étudiants, professeurs de musique et amateurs confirmés de travailler le répertoire romantique allemand, a cappella et avec piano. Le troisième week-end (sur quatre) du Festival offrait pour sa part un condensé de cette diversité : musique baroque, chœur a cappella et avec orchestre.
La saison 2011 a vu l'inauguration d'une nouvelle salle, dite l'« Abbatiale », vaste espace utilisé jadis comme église paroissiale (jusqu'à la construction de l'église actuelle, 1864) puis comme manège à chevaux. Oublié le sol en terre battue : la salle modulable, aussi splendidement que sobrement aménagée, réussie (acoustique) et chaleureuse, offre un cadre incomparable pour les concerts de grande envergure. Comme quoi même en pleine crise financière un projet culturel concerté peut trouver, comme ici sous la houlette du syndicat mixte de Sorèze, les moyens de sa réalisation. Le vendredi 15 juillet, Joël Suhubiette y recevait Gabriel Garrido et son Ensemble Elyma dans l'un de leurs programmes les plus positivement populaires : la Fiesta criolla, reconstitution d'une « Fête pour la Vierge de Guadalupe à La Plata [Sucre] en 1718 » – programme gravé en 2002 pour K617, l'un des grands succès du « Couvent » de Sarrebourg.
Atmosphère des plus conviviales oblige, Gabriel Garrido présenta cette reconstitution, où fusionnent musiques d'église et populaire, insistant sur le fait que le sacré était alors aussi bien dans l'église que sur le parvis. Impossible d'imaginer alliance plus dynamique et flamboyante du chant et du rythme, reflet de la foi et de la vie des habitants de ces sommets boliviens. Dix chanteurs, d'une présence haute en couleur, se déplaçant fréquemment pour une spatialisation du spectacle joyeusement animée et stimulante ; toutes sortes de cordes et vents, avec orgue continuo, pour une infinité de possibilités : la soirée fut d'une générosité qui suscita l'enthousiasme. D'aucuns, puristes ne concevant pas que foi populaire et chamarrée d'une telle fête puisse rimer avec élévation, furent pris de vertige sous ce déluge de rythmes et de danses ; le public, lui, était en liesse.
Le lendemain en fin d'après-midi, toujours à l'« Abbatiale », lieu privilégié en cette année d'inauguration, Joël Suhubiette proposait à la tête de son Chœur de chambre Les Éléments (créé à Toulouse en 1997) un programme « À double chœur ». Dans une lumière diffuse anticipant la vive clarté des œuvres choisies, le Chœur réparti en deux fois quatre pupitres de trois chanteurs fit entendre le hiératique Stabat Mater de Palestrina puis un Motet de Mendelssohn, avant la sublime Messe (1922/1926) de Frank Martin, présentée par Suhubiette telle l'une des œuvres majeures du XXe siècle pour chœur a cappella – avec démonstration à l'appui, dont l'étourdissant carillonnement de la fin du Credo (Et exspecto resurrectionem mortuorum) prolongé dans le Sanctus par un glas étiré de toute beauté : lisibilité parfaite, cohérence et luminosité des pupitres, vie partagée et communicative. Les membres des Éléments adorent chanter cette œuvre qui touche le public par son extrême beauté, recherchée et pourtant si pleinement accessible pour l'auditeur.
Lors du second concert, après le traditionnel pique-nique sous les arbres centenaires, les Éléments furent rejoints par l'Orchestre de Chambre de Toulouse. Jouant sans chef, les musiciens firent d'abord entendre une singulière rareté : la Symphonie n°40 de Mozart transcrite pour cordes par J.B. Cimador (1761-1805). D'une verdeur émaciée, comme une gravure à l'acide permettant de suivre à l'extrême les moindres méandres du texte – chaque pupitre se trouvant de ce fait surexposé : la tenue fut d'autant plus remarquable que les tempos s'envolaient –, mais sans guère de nuances dynamiques ou d'articulation, le résultat n'emporta pas tout à fait l'adhésion, en dépit d'une prestation saisissante d'acuité. L'absolu contraire nous attendait en seconde partie avec la Messe « Nelson » de Haydn, Joël Suhubiette dirigeant solistes, chœur et orchestre avec une inépuisable ferveur. Il s'agissait de la version originale de l'œuvre, avec cordes, cuivres et timbales, resserrement instrumental renforçant le caractère angoissé – « Missa in angustiis » – de cette œuvre majestueuse, admirablement restituée. Avec ou sans orchestre, l'« Abbatiale », pour sa première saison, fit la démonstration d'une acoustique aussi subtilement modulable que la salle elle-même.
Michel Roubinet
Festival Musique des Lumières, Sorèze (Tarn), concerts des 15 et 16 juillet 2011 (3ème week-end)
Sites Internet :
Abbaye-école de Sorèze / Festival 2011
http://www.abbayeecoledesoreze.com/index.php?id=3778
Festival Musique des Lumières / blog du Festival
http://festivalsoreze.blogspot.com/
Ensemble Elyma / Gabriel Garrido
http://www.elyma.net/
Chœur de chambre Les Éléments
http://www.les-elements.fr/
Joël Suhubiette
http://www.les-elements.fr/index.php/joel-suhubiette-a-capella-oratorio-...
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Photo : DR
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