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La Chronique de Jacques Doucelin - Les orchestres à la fête de la crise
Cela devait bien finir par arriver. Alors que de plus en plus de secteurs d’activité et de catégories sociales sont touchés par la crise financière, il n’y a que les naïfs irresponsables pour s’imaginer que la culture pourrait se trouver en dehors du sort commun. Si au lieu de s’enfoncer la tête dans le sable, on voulait bien actionner ses « petites cellules grises », et préparer un plan de répartition d’ensemble des économies à réaliser, on pourrait peut-être le faire accepter plus facilement pour peu qu’y préside un minimum de justice et de solidarité entre les institutions. On n’en prend pas le chemin.
La nouvelle qui est tombée pratiquement sur fond joyeux d’opération « Orchestres en fête », relève de la bonne vieille pratique du « ni vu ni connu » ou si vous préférez du « pas vu pas pris »… Car c’est à l’un des orchestres parisiens les plus modestes – dans sa communication, mais pas dans son action ni son utilité réelle ! – l’Orchestre National d’Ile-de-France, que l’Etat a porté son premier coup financier. La DRAC francilienne (Direction régionale des affaires culturelles) a annoncé en octobre son intention de réduire de quelque 700.000 euros sur quatre ans - soit 33% du total de la part de l’Etat – sa subvention à cette phalange, qui retrouverait dès lors son niveau des années 1980 précise un communiqué de l’Orchestre National d’Ile de France.
Celui-ci y souligne encore que « cette décision prise sans concertation préalable et en contradiction avec les propos tenus à la dernière rentrée par M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication, place dès janvier prochain l’Orchestre National d’Ile-de-France en danger… car elle remet en cause la réalisation des missions de service public de l’orchestre : missions territoriales, éducatives et sociales. » Le conseil d’administration de l’institution, « face à cette décision brutale et injustifiée, demande que la situation fasse l’objet d’un moratoire.<»
C’est bien le moins ! Car on se perd en conjectures sur les vraies motivations d’une décision intervenant ainsi en cours d’année, juste après la nomination d’un nouveau directeur musical, Enrique Mazzola, et surtout de façon isolée, l’Orchestre National d’Ile de France étant « à ce jour, le seul orchestre symphonique à être visé par ce recadrage budgétaire. » C’est un coup bas visant le mal aimé des orchestres de la capitale, et ce depuis sa création dans le cadre du fameux plan Landowski qui a dessiné de façon visionnaire la vie musicale française telle que nous la vivons aujourd’hui et telle que de bas fonctionnaires n’ont eu de cesse de la ruiner (mais heureusement en vain !)
Il fallait que cette réforme fût non seulement solide, mais ses objectifs parfaitement calculés et justifiés pour qu’elle se dresse toujours et quasi intacte plus de trois décennies après sa mise en place ! L’Orchestre d’Ile-de-France faisait alors partie de cette noble cohorte des nouvelles institutions de la décentralisation culturelle chère à Malraux et dont la vocation était autant sociale que purement artistique : il s’agissait en effet d’exporter la musique dite classique au-delà du périphérique pour y évangéliser les populations qui en était le plus éloignées. Le manque de salles adéquates ne facilita pas des débuts héroïques.
On n’a pas oublié les efforts du chef Jacques Mercier n’hésitant pas à « démarcher » les élus locaux pour porter la bonne parole au plus près des onze millions de Franciliens. Mais aujourd’hui, des lieux d’accueil, il y en a en Ile-de-France et même des théâtres lyriques qui peuvent coopérer avec son orchestre symphonique fort actuellement de 117 salariés dont 95 musiciens. Autant dire qu’il n’y a pas beaucoup de « gras » à gratter. C’est l’avantage des pauvres en temps de crise que de toute façon, on ne peut pas leur prendre beaucoup ! Encore qu’un coup de scalpel mal calculé suffit à les envoyer ad patres… En revanche, les nantis comme la capitale en compte un bon nombre, objets de toutes les attentions financières du CAC 40 et autre gratin bancaire, ont beaucoup de gras sous leurs beaux habits… L’Etat songerait-il à couper aussi de côté-là ? Il faudra bien trouver de l’argent. Mais répétons-le : l’essentiel reste que les efforts doivent être équitablement répartis.
A Lyon, Toulouse, Angers-Nantes, Lille ou Strasbourg, les orchestres bénéficient de trois financements : l’Etat, la région et la ville siège. Comme il le fait depuis plus d’une décennie dans d’autres domaines, la tentation est toujours grande pour l’Etat de se défausser sur les collectivités locales. Hélas, l’Orchestre d’Ile-de-France est une exception car il ne dépend que de deux parrains, l’Etat et la région. Peut-être, y aurait-il une solution possible dans le cadre de la Grande Philharmonie à la Villette – si toutefois le projet reste d’actualité après les présidentielles - dont cette phalange est d’ailleurs l’un des utilisateurs théoriques attitrés. Le tout est de réfléchir avant. De prévoir. D’anticiper. Comme ont si bien su le faire un Landowski et un Malraux. Ca n’était pas des fonctionnaires irresponsables, mais des hommes engagés. Y en a-t-il encore ou le moule est-il définitivement cassé comme disait ma grand’mère ?
Jacques Doucelin
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