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Orphée et Eurydice de Pina Bausch au Palais Garnier - Mémoire de beauté - Compte-rendu
Il n’y a pas qu’Orphée qui ait perdu son Eurydice. Un certain monde de la danse, bigarré, fait de bobos branchés, de people cérébrés, et surtout d’un public tout terrain et sans préjugés, mais accroché par ce que sa danse avait d’immédiatement recevable, a été privé en 2009 de Pina Bausch, que tout le monde appelait Pina, encore qu’elle fût fort lointaine : une danse faite de hurlements de désespoir et de cris de joie, de répétition et de piétinements, portée par des décors et des costumes d’une laideur souvent repoussante, mais incontestablement présente, proche des gens. Pina Bausch se voulait porteuse d’une émotion permanente vraie et non conceptuelle, sans puiser à l’expressionnisme cher à son pays. Dans E la nave va, Fellini la statufia pourtant en princesse aveugle, comme une sphinge. Prêtresse qui ne le cherchait pas mais en avait la stature par son étrange aura et la ferveur qu’elle suscita.
C’est dire qu'Orphée et Eurydice, son premier ballet repris à l’Opéra depuis sa mort, a été vécu à la première comme une sorte de déploration sacrificielle par une salle absolument comble - il en est de même pour toutes les autres représentations- et surtout comme un moment de pure beauté inscrit aussi bien dans l’académisme à l’antique que dans la brûlure de l’émotion que la musique de Gluck sait si bien déclencher. De quoi rallier tous les camps, comme le fit déjà son Iphigénie en Tauride en 1991. Orphée, chorégraphié par la dame de Wuppertal pour sa compagnie en 1975, a été gardé dans la version revue par Gluck pour la création à Versailles puis traduite en allemand à l’époque. Mais point n’y est besoin de surtitres : la danse s’en charge, et bien plus encore. Pina a réussi le tour de force d’appuyer les deux héros par leurs doubles sans faire de suremploi. Et elle a créé avec son complice d’alors, Rolf Borzik, des tableaux d’une simplicité grandiose, aussi graphiques que mobiles, dont la savante architecture bouleverse à plus d’un titre, aussi bien plastique que dramatique. Un exemple : alors que les chœurs sont remplacés sur le plateau par d’onduleuses silhouettes comme issues de la musique, la chorégraphe a eu la pudeur de laisser parfois la parole au seul chant : ainsi pour le grand air « J’ai perdu mon Eurydice », où le danseur reste immobile, prostré au cœur même de la plainte chantée.
On a surtout pu admirer une fois de plus à quel point les danseurs de l’Opéra sont en phase avec Pina Bausch dont ils adorent les œuvres et tout particulièrement Le Sacre du Printemps : ici, l’accent est mis sur une souplesse très grahamienne des corps, une sinuosité des bras qui leur est très profitable, tant ce n’est pas la partie forte de la troupe. Au premier plan brille une merveilleuse artiste chaque jour plus juste, plus large, plus aérée, la première danseuse Alice Renavand qu’on voit depuis deux ans atteindre à un total épanouissement. Elle danse le rôle d’Eurydice en alternance avec la sculpturale Marie Agnès Gillot, toujours admirable en drapé en raison de ses proportions hors normes et de sa technique imposante. Pour la première, le beau Stéphane Bullion, véritable éphèbe, montrait ses limites : peu de puissance émotionnelle, un manque heureusement compensé par le caractère fragile et dénué du personnage que Pina Bausch a dessiné pour son Orphée, et qui le rend touchant quel qu’en soit l’interprète.
Mais tandis que la jeune Yun Jung Choi filait une délicieuse Eurydice, on a moins admiré le mezzo de Maria Riccarda Wesseling en Orphée, comme indifférente à la battue du chef Manlio Benzi qui dirigeait le Balthasar-Neumann Ensemble, déjà présent dans la fosse de l’Opéra lors de l’entrée de l’œuvre au répertoire en 2005. Musicalement, hormis cet écueil, l’avancée de la douloureuse déploration qui fascina Pina Bausch, était irrésistible, et magnifiée par la chorégraphie, ce qui est rarissime en matière d’opéra dansé.
Jacqueline Thuilleux
Gluck : Orphée et Eurydice (chor. de Pina Bausch) – Paris – Palais Garnier, 4 février, prochaines représentations les 6, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16 février 2012. www.operadeparis.fr
Orphée et Eurydice
Chorégraphie : Pina Bausch
Musique : Christophe Wilibald Gluck
Interprètes : Marie-Agnès Gillot - Stéphane Bullion
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Photo : Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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