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Peer Gynt par Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris - Au pays des trolls - Compte-rendu
Rarissime, cette interprétation scénico–musicale de Peer Gynt, alors qu’en Norvège, pays natal de l’anti-héros d’Ibsen, les formes variées de représentation abondent au concert ou au théâtre. Paavo Järvi et Didier de Cottignies se sont attelés à nous rendre vivant cet ovni, où l’inspiration romantique et colorée du musicien, en regard de l’ironie et de la méchanceté parodique d’Ibsen font si bizarrement bon ménage : un couple inattendu, et qui a miraculeusement fonctionné depuis que Grieg, à la demande du dramaturge, écrivit sa musique de scène.
Ibsen adora cette musique de scène aux couleurs et aux rythmes puissants, au lyrisme poignant, tandis que Grieg, lui, avait souffert pour l’écrire, tant le sujet lui paraissait rebelle. L’histoire de ce mariage qui n’avait d’autorisé que les origines passionnément norvégiennes des deux auteurs, fut d’ailleurs à rebondissements, malgré le succès immédiat à Christiana en 1876, et à Paris en 1896, pour lequel rien moins qu’Edvard Munch dessina l’affiche. Certes la pièce d’Ibsen est prodigieuse de truculence, et d’étrangeté pour nos sensibilités rationalistes, mais que deviendrions-nous sans la merveilleuse succession de courts chefs d’œuvre que sont les ajouts de Grieg, au point qu’un critique parisien qualifia sa musique « d’air salin, âpre et enivrant » ?
Järvi fait ici des miracles, et l’Orchestre de Paris bat la campagne avec la vigueur d’un sabot norvégien, tandis que chant, texte (adapté pour la circonstance) et musique se marient en une unité dramatique surprenante. La vigueur et la netteté de Järvi conviennent particulièrement dans les scènes à la dynamique heurtée, notamment la fantastique danse dans l’antre du Roi des montagnes, s’élevant jusqu’à la transe comme L’Apprenti sorcier. Tous les solistes, de la fine suédoise Mari Eriksmoen à l’opulente Anne Hallenberg en Anitra, autour du comédien Arnaud Denis, Peer Gynt galvanisé par les influx musicaux qu’il recevait de toutes part, se sont intégrés à la marche étrange de cet anti-drame, non fait pour la scène, et qu’elle récupère ici grâce à la musique. L’aventure a tenu le public en haleine. En sortant, on pouvait dire comme Ibsen en l’honneur de Grieg : « Jouez, que les pierres étincellent, jouez, que la peau des fauves pèle ».
En prélude à ce voyage hors des frontières de la normalité, un petit rappel didactique non sans intérêt, car de Nielsen, oublié trop souvent, sauf de Järvi, héraut du monde scandinave, on a entendu ici l’ouverture de Maskarade, son opéra bouffe, pétillante et brillante. Quant au Concerto pour piano n°2 de Chostakovitch, l’une de ses œuvres les plus populaires, si immédiatement accrocheuse par la bonne humeur et sa virtuosité piquante, elle a eu pour interprète le très surprenant Alexander Toradze, lui aussi trop étranger aux scènes françaises, alors qu’il irradie un bonheur musical ébouriffant, passant de la grâce la plus éthérée aux galops les plus fous. Un Pierrot sur la lune, lui aussi, comme Peer Gynt.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Salle Pleyel, 23 mai 2012
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Photo : Jean Christophe Uhl
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