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Ce que j’appelle oubli à la Biennale de Lyon - La Passion selon Preljocaj - Compte-rendu
Une seule phrase de 64 pages, déroulée ici par un narrateur et six danseurs : pari serré tenu par Angelin Preljocaj pour la Biennale de Lyon, autour du texte inspiré à Laurent Mauvignier par un affreux fait divers survenu dans la banlieue lyonnaise en 2009. Le livre fut d’ailleurs porté à la scène par Denis Podalydès, qui le joua à Paris en avril dernier, avec un grand succès. La violence ordinaire et banalisée, le sordide du quotidien sans visage, thèmes chers à Preljocaj qui injecte dans ses œuvres son obsession de la mort violente, du sang, de la maladie, et du caractère aveugle de notre destinée. A la ville, un homme affable, souriant, attentif à l’autre, avec une grâce juvénile qui contraste si fort avec la noirceur de son propos chorégraphique.
De cette pièce d’une heure et demie (vingt minutes de trop, tout de même, quand tout est joué, mais il faut bien qu’il suive le texte jusqu’à son terme), on peut dire qu’il est aisé d’émouvoir un public en lui racontant des histoires épouvantables, et que le chorégraphe y exalte ici un côté sado-maso qui lui colle à la peau. Mais il est difficile de rester insensible à la puissante alchimie qu’il établit entre le verbe et la chair blessée, saignante, exposée crûment, tandis que la musique de 79D enfonce les clous. Le narrateur joue, surjoue même (Laurent Cazanave, conspué méchamment le 20 septembre), puis s’intègre au mouvement dansé, scandé par quelques silhouettes masculines menaçantes, inexorables, autour du fragile, et comme absent héros-victime.
Quelles soient nos réserves, on est happé par cette quasi-crucifixion, ce Golgotha sans résurrection, ce Saint Sébastien sans sainteté. Preljocaj, même s’il s’est ici emparé d’un fait divers transcendé par la force poétique du texte – un marginal assassiné pour une canette volée par des gardiens de supermarché qui se muent en bêtes sauvages, pour la seule jouissance de l’acte de mort -, n’est pas dans le registre d’une revendication sociale, mais dans celui de la réflexion philosophique la plus désespérée sur la condition de l’homme. Ce qui donne à cette œuvre, à toutes ses œuvres, un intérêt qu’ils n’ont peut-être pas à première vue. Et quel magicien des corps, de la saisie de l’espace, de la tension animale que Preljocaj, créateur fascinant, par–delà les hauts et les bas de sa pléthorique démarche créatrice !
Contraste saisissant avec la sombre élégance de la gestique de Jiri Kylian, dont la Biennale a présenté le long One of a kind, dansé par le superbe Ballet de l’Opéra de Lyon : grâce aux liens de confiance tissés au long cours par Kylian avec son directeur, Yorgos Loukos. Rares sont les ballets d’une telle durée que le chorégraphe a confiés à une compagnie autre que la sienne, lui qui ne produit généralement que des pièces plus courtes, à l’exception du Kaguyahime inscrit au répertoire de l’Opéra de Paris. Dans cette longue pièce, divisée en trois registres, Kylian a voulu dire son amour de la liberté, car l’oeuvre lui fut commandée par le gouvernement néerlandais en 98, pour le 150e anniversaire de la Constitution des Pays-Bas. L’esprit de finesse, bien plus que tout lyrisme, dont Kylian n’est guère familier, préside à ces solos, ces duos oniriques dont on ne saisit que peu la portée, mais qui plongent le spectateur dans une parenthèse fluide. Avec Preljocaj, on est saigné à blanc, Kylian, lui, use des coups d’épingle, et porte au sommet les superbes danseurs de la troupe, grands habitués de son style.
Jacqueline Thuilleux
15e Biennale de la Danse à Lyon, les 20 et 21 septembre 2012
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Photo : DR
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