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L’Enfant et les sortilèges et Trouble in Tahiti à Caen - Sortilèges visuels - Compte-rendu
Donné pour la première fois à Nancy début 2010, le couplage élaboré par Benoît Bénichou émigre pour deux soirées à Caen en troquant l'orchestration originale pour deux adaptations. En faisant de l'enfant un personnage pivot, il a trouvé une astucieuse solution pour mêler au-delà de la simple juxtaposition deux œuvres aussi dissemblables que Trouble in Tahiti, démystification de la middle class américaine, et la poétique initiation de L'Enfant et les sortilèges, donnant de la sorte l'illusion d'une continuité dramatique.
Ponctué de toiles à la Hopper et d'ensembles enlevés – au premier rang desquels le trio d'ouverture swinguant en boucle qui aurait bien pu inspirer les répétitifs américains, et dans lequel se distingue un Steven Cole pêchu – le Bernstein juxtapose l'agressivité conquérante de l'homme obnubilé par la réussite et l'attente mélancolique de son épouse au foyer. Si la touchante Dinah incarnée par Aurore Ugolin et le vigoureux Sam de Kevin Greenlaw forment un couple contrasté, la partition souffre de l'inconséquence dans le choix de la réduction (flûte, clarinette, trompette, trombone, contrebasse, piano et percussions), qui ne facilite guère la précision rythmique, pourtant marque de fabrique de l'ouvrage, sans parler de maladroits alliages de timbres.
Les musiciens de l'Orchestre Régional de Basse-Normandie, qui fête cette année ses 30 ans, sont autrement inspirés par Ravel. De la version pour ensemble de chambre réalisée par Thibault Perrine pour une vingtaine d'instruments, Jean Deroyer sait exhaler les couleurs dont la fraîcheur et la sapidité acidulées sont accentuées par la condensation des effectifs. La globalité de la conception du spectacle s'affirme aussi dans la réapparition de la plupart des protagonistes de la première partie – Aurore Ugolin devenue Maman ou Héloïse Mas entre autres Pâtre, Bergère et Libellule. Mais on retient surtout l'éblouissante Mélanie Boisvert, Feu pétillant de flammes et Rossignol aux roucoulements fruités jusque dans les impeccables aigus stratosphériques – on entend parfaitement le jeu du compositeur avec les codes du soprano colorature à la française.
Dans le rôle de l'Enfant, Amaya Dominguez privilégie la candeur, et démontre, à l'instar de ses partenaires, du soin quant à la diction. Une qualité dont font également preuve la Maîtrise de Caen et l'Ensemble vocal Aedes. Bruno Fatalot a eu l'habile idée de ne pas charger l'imitation matérielle des objets et des animaux pour mieux en faire ressortir la poétique humanité instillée par le livret de Colette. Et tout ce petit monde s'anime sous la magie des éclairages réglés par Thomas Costberg et Ishrann Silgijian, dessinant d'oniriques reliefs sur le plateau. L'enchantement est total ; on espère le retrouver prochainement.
Gilles Charlassier
Bernstein: Trouble in Tahiti/Ravel : L'Enfant et les sortilèges – Caen, Théâtre, 15 novembre 2012
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Photo : Philippe Delval
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