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« La virtuosité n’est pas une fin en soi » - Trois questions à Khatia Buniatishvili, pianiste

Après une apparition très remarquée Salle Pleyel il y peu, Kathia Buniatishvili donne un récital à l’Opéra d’Avignon, le l1 décembre. L’occasion de vérifier à quel point cette virtuose hors pair est avant tout une musicienne. Sa Sonate de Liszt, son Petrouchka de Stravinsky sont d’abord de stupéfiants poèmes narratifs.

D’où tenez-vous le caractère si marqué de votre jeu ? J’ai le sentiment en vous entendant que votre si forte présence au piano n’est pas sans rappeler celle de Martha Argerich ou d’Elisso Virsaladze.

Kathia Buniatishviuli : Je vous remercie de telles comparaisons, c’est très flatteur, mais ma manière de m’exprimer au piano provient de mon propre caractère, de ma personnalité. Le jeu d’un pianiste est le miroir de lui-même ; on ne peut pas se cacher derrière, il vous expose tout de suite.

Comment travaillez-vous une œuvre ?

K. B. : Cela dépend du temps dont je dispose. Si j’ai assez de temps devant moi je prend soin d’écouter comment je joue moi-même l’œuvre en question, car comme vous le savez il existe quantité de versions des grands ouvrages du répertoire, fatalement on a dans l’oreille telle ou telle interprétation… Donc au début, je prends le temps de m’entendre en quelque sorte, et tout en déchiffrant je compose mentalement ma propre version. Dès ces premiers instants elle est en devenir, elle se construit. Instinctivement j’essaie de ne pas reproduire ce que j’ai entendu auparavant, cela me force à trouver des voies nouvelles. C’est d’autant plus aisé que les chefs-d’œuvre présentent un nombre infini de facettes ainsi qu’une grande complexité : l’harmonie, le rythme, le phrasé suggèrent des solutions innombrables. La conscience de l’harmonie est primordiale pour moi, et c’est bien naturel puisque mon instrument n’est pas seulement mélodique.

Etre pianiste c’est se confronter à la complexité harmonique et qui plus est à une certaine dimension orchestrale, inhérente elle aussi à l’instrument. Une grande part de mon travail est d’exposer le plus clairement possible la richesse de l’harmonie. Je suis très attachée à la mise en lumière de la polyphonie, cela donne probablement à mon jeu, même dans le répertoire romantique une certaine touche de modernisme. Ceci dit je ne regarde jamais les œuvres comme simplement appartenant à une époque, et d’ailleurs je suis curieuse de tout, même du jazz. Cela me tenterait bien d’aborder le jazz, mais il me faut plus de temps. Un jour probablement.

Il semble que pour vous la virtuosité soit une donnée primordiale, d’ailleurs à l’occasion de votre récital à Avignon, vous allez jouer la Sonate de Liszt et le Petrouchka de Stravinsky. Cette virtuosité qu’est-ce, un aiguillon, un défi ?

K. B. : La virtuosité ? Pas une fin en soi, simplement les moyens de pouvoir jouer sans entraves les œuvres que je veux approcher. C’est une condition première. Sans la virtuosité je ne pourrais pas me mesurer au morceaux gigantesques que j’ai envie de jouer, comme la Sonate de Liszt qui est à mes yeux d’abord une partition fulgurante, portée par une dramaturgie unique. Si je n’avais pas ma technique je risquerais simplement de m’y blesser. Mais avec cette technique je suis libre d’aller aussi loin que je le veux dans ce type d’œuvre ; en plus je ne pense pas vraiment à la technique, je sais qu’elle est là, que je peux y recourir. C’est en cela que je vous disais qu’elle n’était pas une finalité mais un moyen. C’est la grande leçon que je retire des enregistrements de Serge Rachmaninov : sa technique est tellement fulgurante qu’il ne la montre jamais, mais elle lui permet justement de réinterpréter en profondeur les œuvres qu’il aborde.

Si je devais séjourner sur une île déserte avec un musicien, ce serait avec lui. Le personnage devait être aussi fascinant que le musicien. J’aime toutes ses œuvres, et je travaille actuellement les Variations sur un thème de Paganini. Je me délecte de tout l’esprit ludique qu’il y met, lui qui passait pour le grand parangon du romantisme, pour un compositeur sombre. C’est comme l’autre versant de sa personnalité. Il n’a pas craint qu’on puisse lui reprocher une certaine légèreté en composant cette œuvre, et j’admire ce courage.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé

Récital de Khatia Buniatishvili
Œuvres de Liszt, Chopin et Stravinsky
11 décembre 2012 – 20h30
Avignon – Opéra Théâtre

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Photo : DR
 

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