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Ballets de Noverre à l’Opéra Comique - Le Festin de Noël - Compte-rendu
On ne se plaindra pas de ce qu’aucun geste de Noverre n’ait survécu, malgré une œuvre riche de quelque 150 ballets. Car cherchant sa trace dans les ballets qu’elle a recréés de toutes pièces, sa lointaine descendante spirituelle, Marie-Geneviève Massé, a ainsi pu laisser libre cours à son imagination à la fois forte et délicate, repoussant pour une fois, elle aussi, les diktats d’une danse baroque qui a jusqu’ici dirigé sa vie. Ce qui nous vaut un flamboyant spectacle « dans l’esprit de », mais sans les baleines dans les coutures qui guindent les reconstitutions faussement méticuleuses. Profondément attachée à ses racines, consolidées auprès de la grande prêtresse de la danse baroque, Francine Lancelot, Massé, avec sa compagnie L’Eventail, créée en 1985, n’a cessé d’enchanter de ses fantaisies gracieuses et savamment codées.
Avec ce spectacle d’hommage à Noverre, elle détourne sans se détourner, s’aventure sur les terres inconnues des émotions fortes et non plus seulement de l’esthétisme, celles du drame et du pathétique au lieu du pur divertissement, celles de l’histoire enfin, qu’il faut apprendre à conter. Noverre eut ce génie : il initia une révolution qui était certes déjà dans l’air du temps et mit fin à l’ère du ballet de pur divertissement, inféodé au lyrique, et affligé d’atours pesants, de perruques effrayantes et d’un maniérisme effréné qui bridaient l’essor de ce que pouvait exprimer la danse. En créant le ballet d’action, à la cour de Stuttgart surtout, mais un peu partout en Europe et notamment en France, où Marie-Antoinette, son ancienne élève à Vienne, le soutint vigoureusement. Noverre, mettait en place la structure de ce qui deviendrait le ballet romantique, et ce dès 1763, avec Médée et Jason, une de ses œuvres emblématiques.
Pourtant il ne resta rien de sa gestuelle sinon dans de multiples dessins d’époque, seul demeura le recueil majeur qui était un manifeste de l’art nouveau, ses Lettres sur la danse saluées par les encyclopédistes comme un ouvrage de génie. En fait, la révolution de Noverre est la même que celle de Gluck : la simplification expressive, l’abandon des cocotteries, le sens du drame jusqu’alors inusité dans la danse de cour. En revanche, il semble que sa chorégraphie proprement dite ait été moins innovante que la construction de ses ballets, la technique d’alors, dominée par les présences des Camargo, Sallé et Vestris père et fils, étant d’un très haut niveau de complexité que Noverre n’a pas cherché à modifier.
L’idée de lui rendre cet hommage, fruit d’une collaboration entre le Palazzetto Bru Zane de Venise, le Centre de Musique Baroque de Versailles et l’Opéra Comique, a pris appui sur la présence de Noverre dans la troupe de ce dernier, avant qu’il ne devint un chorégraphe célébré de toute l’Europe. Elle permet une foule de découvertes et ménage de délicieuses surprises: d’abord, on l’a dit, celle du talent renouvelé de Massé, qui construit admirablement les grands temps forts de Médée et Jason, simplifie ses parcours, et glisse des figures plus tardives mais aussi plus éloquentes dans cet éclatement du baroque. Fait-elle sa propre révolution? L’avenir le dira, et l’on attendra avec intérêt l’évolution de son talent créateur.
Pour Renaud et Armide, où l’on est au contraire plongé en plein fantastique précieux, le ton et les grâces baroques prévalent grâce à une danse souple et légère où les danseurs voltigent et sautillent sans que jamais quelque vulgaire préparation à une manifestation de virtuosité ne vienne casser l’enchantement. Mais la chorégraphe, piquée par le démon de la fantaisie, s’est aussi offert quelques figures libres où l’on passe de Fokine à des esquisses de hip hop, la séduisante et ondulante Armide évoquant alors sa cousine Schéhérazade.
Pour ces moments enchantés, Massé a aussi été entourée de partenaires très inspirés par l’enjeu : à commencer par le scénographe Vincent Tavernier, navigant avec dextérité entre vérité de l’action et manières du baroque finissant. Il a su y trouver un équilibre, ce qui n’était guère facile. Mais qu’étaient ces arts vivants sans l’apparat et la force esthétique des décors et des costumes ? Et là, le spectacle offre un splendide voyage dans la peinture du temps, italien et français. Vastes portiques qu’habitent des costumes inspirés des maquettes de Boquet, complice de Noverre, avec des dégradés de couleurs aussi subtils qu’éclatants, exaltés par la nouvelle technique de teinture naturelle mis en place cette année à l’Atelier de l’Opéra Comique. Un goût exquis fait scintiller délicatement les voiles verts des naïades dans Renaud et Armide, et chamarre le drapé écarlate de la terrible Médée, et ce grâce au costumier Olivier Bériot et à l’artisan des lumières, Hervé Gary.
Autre surprise de taille dans ce spectacle qui en regorge : celle de la musique du sieur Jean-Joseph Rodolphe, brillant corniste aux cours de Parme puis Stuttgart, avant d’intégrer la Chapelle Royale de Versailles. Egalement compositeur de talent, il tailla aux mesures des ballets de Noverre une musique vigoureuse, charnue, d’un dynamisme époustouflant, qui tient en haleine et se situe entre Gluck et Cherubini. Remarquable remise sur orbite de ce presque inconnu dont Hervé Niquet a traduit la musique colorée et inquiète avec une pulsion et un engagement irrésistibles, à la tête du Concert Spirituel. Mais on aura longtemps dans l’œil les pieds agiles et vifs des merveilleux danseurs de L’Eventail, parcourant l’espace de petits pas qui semblent larges, tant leur rythme est soutenu et leurs transitions invisibles. Fabuleuse technique que celle de ces jeunes gens dont le suprême talent est de gommer toute difficulté. Noverre eût été ravi. Quant au public, il jubilait…
Jacqueline Thuilleux
Ballets de Noverre (Médée et Jason, Renaud et Armide) – Paris, Opéra Comique, le 21 décembre 2012
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Photo : Pierre Grosbois
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