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Il Turco in Italia au Angers-Nantes Opéra - Un plateau de choix

On ne donne pas si souvent que cela les deux comédies transméditerranéennes de Rossini, L’Italienne à Alger (1813) et ce Turco in Italia (1814) où le poète Prodoscimo écrit à mesure l’intrigue durant l’opéra, procédé dramatique habile qui donne à l’œuvre son surcroit d’inattendu. Pourtant Rossini n’a pas également réussi ses deux actes : le premier tire trop souvent à la ligne et s’enferre dans ce fameux comique de répétition qui ailleurs – dans le Barbier surtout - se révélera payant mais ici alourdit l’action déjà fort mince. Alors qu’au II, tout file sur les pointes, enchaînant ensembles mozartiens et airs virtuoses. La comédie ne prend plus son temps, elle a soudain ouvert ses ailes.

Lee Blakeley, qu’on sait rompu à la comédie musicale, a bien conscience de cette disparité, et anime à foison, dès l’ouverture, le premier acte, lui donnant un air tourbillonnant qu’il n’a pas naturellement malgré son renfort de gitanes et ses effets de séductions immédiate entre Selim et Fiorilla. Alors qu’au II, où tout se précipite, il ouvre durant la fête du sultan une parenthèse de poésie aux teintes nocturnes bien vues.

Dans la fosse, Giuseppe Grazioli (1) veille à ce que le temps soit toujours fluide. Son orchestre est sur les pointes, parfois exposé par la mécanique horlogère de l’orchestre rossinien, sans pitié pour le jeu d’ensemble. Surtout il accompagne chaque mot de ses chanteurs, les porte avec un amour sensible.

On est bluffé par le baryton sombre, aux harmoniques profondes, cuivrées du Selim de Nahuel di Pierro, demain le Don Giovanni du Colon. Il emplit l’écrin de Graslin, sa voix passe dans les bois, vous prend tout entier, sensuelle, corsée, subtile, parfaitement conduite. Autre révélation, le Don Narciso de David Portillo, vrai ténor rossinien avec un passage encore un peu raide, mais aux aigus ronds et qui portent sans effort, à la vocalise électrique et pourtant déliée, assurément l’un des futurs grands ténors rossinien de sa génération. On aime la Fiorilla assez racée de Rebecca Nielsen, plus pour l’habileté de son chant que pour la beauté d’un timbre assez générique. Mais comme elle joue, comme elle donne tout sans s’épargner ! Les autres sont parfaits, Leguérinel idéal de comédie pour Don Geronimo, le joli mezzo de Giuseppina Bridelli pour la délaissée Zaida (qui gagnera finalement la partie), Nigel Smith, poète plein d’esprit, et un autre ténor à surveiller, encore un peu vert mais déjà artiste, Manuel Nunez Camelino, dont l’air du II, qui a le désavantage de passer après celui si éclatant de Don Narciso, nous a également tiré l’oreille.

Jolie soirée, inutile d’ajouter que l’œuvre va comme un gant à l’écrin de Graslin.

Jean-Charles Hoffelé

(1) Giuseppe Grazioli, après avoir emmené avec panache les productions du Conte Ory et du Barbier de Séville pour Angers Nantes Opéra avait concouru au succès étourdissant du Chapeau de paille d’Italie de Nino Rota selon Patrice Caurier et Moshe Leiser. Il enregistre pour Decca Italie une remarquable intégrale des œuvres de Rota dont les trois premiers volumes sont déjà disponibles (3 albums de 2 CD Decca 4810284, 4810394, 4810694)

Rossini : Il Turco in Italia - Nantes, Théâtre Graslin, le 17 décembre 2013 ; rochaines représentations à Angers (Le Quai), 5 et 7 janvier 2014

Photo © Jef Rabillon

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