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Une interview du Quatuor Béla – Archets d’aujourd’hui
Le Quatuor Béla fait doublement l’actualité en ce début d’année. Tandis qu’est sorti il y a quelques semaines un enregistrement époustouflant de maîtrise et de poésie des deux Quatuors de György Ligeti(1), Julien Dieudegard, Frédéric Aurier (violons), Julian Boutin (alto) et Luc Dedreuil (violoncelle) s’apprêtent à donner son coup d’envoi à la 6ème Biennale de Quatuors à cordes de la Cité de la musique, le 18 janvier (à 15h), avec un programme largement dédié au répertoire du XXe siècle et contemporain - Stroppa (2), Crumb, Ligeti, Mozart. Belle marque de reconnaissance pour un jeune quatuor épris de modernité et d’ouverture bien pensée. Julien Dieudegard (photo, au fond à droite) s’est fait le porte-parole de ses collègues pour répondre à Concertclassic.
Musique contemporaine, dialogue avec le jazz ou la musique du monde : le Quatuor Béla présente un profil singulier dans le paysage du quatuor à cordes. Quelle est la part du hasard et des choix délibérés dans la vraie identité que l’on s'acccorde à vous reconnaître désormais ?
Julien DIEUDEGARD : Nous faisions déjà beaucoup de musique chambre ensemble au CNSM de Lyon avant de décider de fonder le Quatuor Béla en 2006. Nous avions envie de nous tourner vers la création et le répertoire contemporain. Je le répète souvent, le drame de la musique contemporaine est qu’elle n’est souvent jouée qu’une fois, alors qu’il y a des chefs-d’œuvre à défendre et à explorer en profondeur. Il n’y pas eu pour autant de plan quinquennal (rires), les choses se sont beaucoup faites par les rencontres ; rencontres de compositeurs, de musiciens venus d’autres univers musicaux, de tradition orale parfois. A la base, les membres du Quatuor n’ont pas le même profil ; ces différences ont été source d’enrichissement mutuel (Frédéric Aurier, par exemple, est improvisateur et compositeur) et nous nous complétons très bien.
Parmi les partitions autour desquelles votre formation s’est construite, les deux Quatuors de Ligeti occupent une place de premier plan ; le 1er Quatuor “Métamorphoses nocturnes“ figure d'ailleurs dans votre programme du 18 janvier à la Cité de la musique. Parlez-moi de votre relation avec ces ouvrages majeurs de la musique de chambre du second XXe siècle …
J.D. : Ces œuvres nous accompagnent depuis nos débuts – il faut dire qu’elles sont extrêmement formatrices ! Elles présentent des difficultés très différentes. Le Quatuor n° 1 de Ligeti se situe dans la lignée des quatuors de Bartók ; on parle parfois de “7ème Quatuor de Bartók “. La formule a ses limites : Ligeti a vraiment absorbé le langage de son devancier mais on trouve déjà dans son 1er Quatuor des prémices du langage à venir (des chromatismes échevelés, des « mécaniques » typiques du compositeur). Mais sur le plan du travail de quatuor ça ressemble tout de même beaucoup à la préparation d'un Bartók.
Dans le 2ème Quatuor, tout est jouable, mais il est d’une difficulté infernale. Un an s’est écoulé entre le moment où nous avons commencé à le travailler et le moment où nous l’avons présenté entièrement en public… Ça n’arrive pas souvent dans la vie d’un musicien d’être confronté à un temps de préparation aussi long. Il s’agit là d’un travail sur la matière sonore, sur des effets proprement inouïs. Une personne écoutant cette musique pour la première fois et ne sachant pas qu'il s'agit un quatuor aura, à mon avis, du mal à identifier le type de formation. Le 2ème Quatuor est une partition dont on ne touche jamais le fond ; on peut estimer au bout d’un moment qu’on la maîtrise, mais sûrement pas qu’on en a fait le tour.
Quelles seront les autres occasions d’écouter le Quatuor Béla durant les semaines et les mois à venir ?
J.D. : L’ouverture de la Biennale « Musiques en Scène » (3) de Lyon (5 mars, Musée d’Art Contemporain) va nous confronter à un véritable marathon. Nous jouerons le 2ème Quatuor (1983) de Morton Feldman, le plus long quatuor jamais écrit. C’est de la musique magnifique mais le compositeur était à une période de sa vie où il voulait que le public se déconnecte du temps ; l’œuvre dure… entre cinq et six heures ! Nous sommes donc en train de nous préparer instrumentalement et physiquement, et d’inventer une machine pour tourner les pages car il n’y a aucun moment où on peut le faire.
Par ailleurs une création se prépare avec un trio de jazz, le Trio Jean-Louis, et sera donnée au prochain Festival de Nevers. Ça partie des aventures que nous avons pu partager avec des artistes tels que Albert Marcoeur, Jean-François Vrod, Moriba Koïta, le Duo Sabil ; ces projets transversaux nous tiennent à cœur et s’avèrent très enrichissants.
Enfin, au prochain Festival d’Aix, nous créerons le Quatuor de Jérôme Combier au sein d’un programme comprenant le 5ème Quatuor de Bartók. Il sera repris à la Cité de la musique en 2015
Propos recueillis par Alain Cochard, le 9 janvier 2014
- Quatuors nos 1 et 2, complétés par la Sonate pour violoncelle seul, non moins exceptionnelle, sous l’archet de Luc Dedreuil (1 CD Aeon AECD 1332, dist. Outhere)
- Spirali de Marco Stroppa remplace la création, initialement prévue, de Luis Fernando Rizo-Salom, en raison de la mort du compositeur colombien dans un accident de deltaplane en juillet 2013, à l’âge de 41 ans.
- Programme détaillé : http://www.bmes-lyon.fr/
Quatuor Béla
Œuvres de Stroppa, Crumb, Ligeti, Mozart
18 janvier 2014 – 15h
Paris - Cité de la musique (Amphithéâtre)
Dans le cadre de la 6ème Biennale de Quatuors à cordes (du 18 au 26 janvier 2014)
http://www.citedelamusique.fr/francais/activite/concert/13560-quatuor-bela
Photo © Jean-Louis Fernandez
NB : Signalons la parution, chez Fayard, de "Panorama du quatuor à cordes" de Bernard Fournier. Une excellente synthèse de la monumentale somme en trois volumes de l'auteur sur l'histoire du quatuor. (327 pp. / 22 €)
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