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Les Vénitiens à Paris
Du 26 au 28 mars, Paris accueille le mini-festival « Les Vénitiens à Paris ». Organisé à l’initiative du Venetian Centre for Baroque Music (VCBM), il permettra de retrouver l'Ensemble Correspondances dirigé par Sébastien Daucé et Leonardo García Alarcón à la tête de sa Capella Mediterranea. Une occasion de se souvenir du précieux l’apport des artistes de la Sérénissime à la France.
Des liens anciens
Comme le rappelle Olivier Lexa - directeur artistique du VCBM et par ailleurs auteur d’un remarquable petit livre (1) -, l’acclimatation des musiciens italiens à Paris a été favorisée par le cardinal Mazarin qui, entre 1645 et 1662, fait tout son possible pour imposer l’art vénitien à la Cour du Roi (pas encore) Soleil.
Mais les liens entre la royauté française et l’opéra transalpin remontent à la création de ce dernier : on rappellera en effet que le premier exemple conservé du genre, l’Euridice de Peri (et celle de Caccini, dont un superbe enregistrement par Alessandrini vient de paraître chez Naïve), avait justement été composé pour les célébrations du mariage par procuration d’Henri IV avec Marie de Médicis. On peut encore aujourd’hui avoir un superbe aperçu de cet événement à travers certains des vingt-quatre panneaux de Pierre Paul Rubens rassemblés dans la Galerie Médicis du Louvre… Caccini et sa fille Francesca, future grande compositrice, furent, dans la foulée, invités en France, laquelle se familiarisa ainsi avec une façon de composer toute nouvelle, dont se fait l’écho André Maugars dans La Réponse faite à un curieux sur le sentiment de la musique en Italie (1639).
Après avoir connu ses prémices à Florence, puis, avec l’Orfeo (1607) de Monteverdi, à Mantoue, l’opéra s’impose rapidement sous deux formes un peu différentes : allégorique, décorative et volontiers chorale à Rome ; tragi-comique, cynique et plus populaire à Venise, où s’ouvre en 1637 le premier théâtre lyrique payant accessible à tout public. En transportant ses pénates dans la Cité des Doges en 1610, l’immense Monteverdi donne un coup d’accélérateur décisif à l’école vénitienne, dont l’un de ses disciples, Francesco Cavalli, devient le chef de file.
Mazarin : les arts et la politique
Pendant ce temps, à Rome, un jeune légat né en 1602 (la même année que Cavalli), Giulio Raimondo Mazzarino, fait ses armes auprès du cardinal Antonio Barberini, neveu du pape Urbain VIII et protecteur des arts... Suite à une série de missions diplomatiques en Savoie et en France, il attire l’attention de Richelieu. Naturalisé français en 1639, sous le nom de Jules Mazarin, il est nommé, en 1642, le lendemain de la mort de Richelieu, Premier ministre d’Etat et parrain du Dauphin, le futur Louis XIV – qui monte sur le trône à cinq ans, en 1643. Après quelques démêlées avec la régente Anne d’Autriche, Mazarin s’unit à elle pour parfaire l’éducation de son filleul, auquel il s’ingénie à transmettre le goût des spectacles italiens.
En 1645, dans le cadre du Palais-Cardinal érigé par Richelieu (et qui sert de résidence au roi-enfant avant de prendre son nom actuel de Palais-Royal), Mazarin fait donner un premier opéra : Nicandro e Fileno de Marazzoli. En octobre de la même année, le ministre demande au « Grand Sorcier », le scénographe et machiniste véronais Giacomo Torelli, de réaménager le Théâtre du Petit-Bourbon pour pouvoir y donner des ouvrages lyriques et, notamment, La Finta Pazza de Francesco Sacrati – un exemple typique d’opéra vénitien mêlant échos de L’Odyssée et comédie, dont une « fausse scène de folie » qui amène le dénouement, selon une recette inspirée du théâtre espagnol.
En Mazarin se rencontrent goût des arts et ambition : le ministre utilise les séductions de la musique transalpine pour se rapprocher de la reine-mère et lui communiquer ses vues politiques. Ainsi, fait-il d’abord en sorte qu’Anne invite à Paris la cantatrice Leonora Baroni (probablement sa maîtresse) avant de lui présenter l’ensorcelant castrat Atto Melani, dont les mauvaises langues chuchotent qu’il lui sert d’agent secret.
En février 1646, l’ancien protecteur de Mazarin, le cardinal Antonio Barberini, chassé de Rome par la mort d’Urbain VIII, s’exile à Paris. En sa présence est donné à la cour, en petit comité, un nouvel opéra traitant de démence : L’Egisto de Marazzoli et Mazzocchi, parodie de celui de Cavalli sur un livret du cardinal et futur pape Giulio Rospigliosi (l’œuvre, proche aussi de la commedia dell’arte, a été exhumée par Les Paladins de Jérôme Corréas à Royaumont, puis à L’Athénée en 2011).
L'Orfeo de Rossi, premier opéra pour la cour
C’est le prélude à une entreprise de beaucoup plus grande envergure, car Barberini amène dans ses bagages un poète de talent, l’abbé Francesco Buti, avant de faire venir le compositeur Luigi Rossi. Le 2 mars 1647, dans le Théâtre du Palais-Royal inauguré par Richelieu, est créé le premier opéra italien expressément écrit pour la cour de France : L’Orfeo de Rossi sur un livret de Buti (2). Trois actes, un Prologue, trente personnages (au sein desquels se distinguent les rôles des deux castrats rivaux : l’Orfeo d’Atto Melani et l’Aristeo de Marc’Antonio Pasqualini – qui a droit à sa scène de folie), une chorégraphie due à Giovanni Battista Balbi, une vingtaine de décors et machines signés Torelli, cinq heures de musique et un Epilogue qui transforme la lyre d’Orphée en lys royal de France !
Le jeune Louis, âgé de neuf ans, prend surtout plaisir à la scène des animaux ensorcelés par le chantre de Thrace... Rapidement, il montre davantage de goût pour la danse que pour le chant et, dès 1653, il s’exhibe sur scène, sous la figure du Soleil - en compagnie d’un jeune violoniste de vingt ans, Giovanni Battista Lulli - dans le Ballet de la Nuit, qui fête le triomphe sur la Fronde, puis dans l’opéra Le Nozze di Teti e Peleo (musique de Caproli, livret de Buti).
En 1659, Mazarin signe pour le roi la Paix des Pyrénées, mettant fin à une guerre de près de quinze ans avec l’Espagne. Selon les termes de ce traité, l’infante Marie-Thérèse d’Autriche doit épouser Louis XIV – l’occasion rêvée pour donner un opéra ! Voire, même, construire un opéra - que Mazarin imagine grandiose, à la jonction du Louvre et des Tuileries et dont il confie la conception à un nouvel ingénieur italien (Torelli ayant été compromis par la Fronde) : Carlo Vigarini. Les travaux de ce qu’on appelle désormais la Salle des machines et qui doit compter 4000 places assises prennent hélas du retard, alors même que, sur les conseils d’Atto Melani, l’on a sollicité l’accord du plus célèbre compositeur d’opéras du temps, le Vénitien Francesco Cavalli.
Un "opéra de mariage"
Ce dernier n’a guère manifesté d’enthousiasme : il frôle les soixante ans, a déjà vu sa trentaine d’opéras se répandre dans toute la Péninsule, assume la charge de premier organiste à la Basilique Saint-Marc (où il vient de faire donner un Te Deum en l’honneur de la Paix des Pyrénées) et n’a pas grand-chose à gagner à cette expédition française. Pourtant, supplié par l’abbé Buti, il arrive à Paris en juillet 1660 et, en compagnie du librettiste, s’attaque à un nouvel ouvrage.
Las, la Salle des machines n’est achevée que… deux ans plus tard ! En attendant, pour fêter les noces du roi, l’on donne sur une scène provisoire casée par Vigarani dans la Grande Galerie du Louvre, le Serse de Cavalli (3), créé à Venise en 1654. Mais cet opéra tragi-comique, rempli d’intrigues amoureuses complexes, de castrats et de plaisanteries rhétoriques, ne séduit guère un auditoire maîtrisant mal l’italien et déçu par l’absence de machines.
Le « véritable opéra de mariage », lui, ne voit le jour aux Tuileries que le 7 février 1662 : il s’agit d’Ercole amante(4), sur un livret de Buti, ouvrage encore plus dispendieux que L’Orfeo puisqu’en plus de ses vingt-cinq rôles et de sa trentaine de changements à vue, il fait une large place au chœur et à l’orchestre. Le Prologue met ainsi en scène un double chœur de Fleuves répondant aux ordres du Tibre – allégorie du ministre Mazarin, qui vient de décéder. En clôture, et, parfois, au cœur de chacun des cinq actes, prennent place de fastueux ballets, dus à la nouvelle coqueluche du roi, celui que, depuis sa naturalisation, l’année d’avant, l’on nomme désormais Jean-Baptiste Lully.
La Salle des machines s’avère bruyante, incommode, le spectacle interminable et obscur (et ses allusions aux amours interdites d’Hercule/Louis XIV et Iole/Marie Mancini, sous l’œil jaloux de Déjanire/Marie-Thérèse et le sourcil courroucé de Junon/Anne d’Autriche pas très bienvenues) : le public de courtisans ne semble goûter que les danses, et Cavalli rentre bien marri à Venise…
La dette de Lully
Ercole amante, partition grandiose et novatrice marque donc à la fois l’apogée et la fin des succès italiens à Paris. Mais pas celle de l’influence de Venise sur notre opéra : en fondant la tragédie lyrique à partir de 1673 (Cadmus et Hermione) en compagnie du dramaturge Philippe Quinault, Lully, qui se veut plus français que les Français, n’oublie pas pour autant l’art lyrique vénitien. Davantage même que les scènes italiennes, l’Académie royale de musique va perpétuer le goût des intrigues allégorico-mythologiques, des décors panthéistes (avec ses tableaux obligés des enfers, de la mer en courroux, de la chasse et de la voûte céleste, que l’on retrouve jusque chez Rameau), voire du mélange des genres (on rencontre encore des rôles comiques dans Alceste). Musicalement, le lamento de Cavalli et sa basse obstinée se transforment en chaconne et passacaille, chantées et/ou dansées, tandis que les récits lullistes se voient ponctués de « petits airs » dans le goût italien et les divertissements de trios vocaux (« petits chœurs ») mis à la mode par Rossi et Cavalli. Enfin les thématiques vénitiennes - scène de folie de Roland ou Atys ; « sommeil » de Persée ou Renaud ; apparitions de fantômes dans le goût d’Ercole - font florès, tandis que les décors conçus pour les ouvrages italiens sont longuement recyclés (ceux d’Orfeo paraissent dans L’Andromède de Corneille, ceux d’Ercole dans la Psyché de Molière).
Certes, contrairement à Vienne - où les Vénitiens Minato puis Zeno, Ziani puis Caldara font office de poètes et musiciens de cour jusqu’au XVIII° - ou à Hambourg - où l’on réutilise des livrets vénitiens partiellement traduits en allemand -, Paris n’importe plus ses artistes ni ses ouvrages d’outre-monts. Mais, paradoxalement, la très centralisée scène française perpétuera l’esthétique vénitienne avec plus de constance que ne le feront les autres théâtres lyriques d’Europe.
Pendant ce temps, l’on construit le château de Versailles : et devinez de quelle ville s’inspirent le Grand Canal et la Galerie des Glaces ?...
Olivier Rouvière
- Venise, l’Eveil du baroque, Karéline, 2011
- Une (quasi) intégrale de cet opéra a été enregistrée par William Christie chez Harmonia Mundi en 1990. Pour plus de détails, lire : Christian Dupavillon, Orfeo, 2 mars 1647, Fayard, Paris, 2010.
- Enregistré par René Jacobs chez Harmonia Mundi en 1985.
- Enregistré par Michel Corboz chez Erato en 1980. La production scénique de David Alden et Ivor Bolton, plus complète et assez géniale, est disponible en DVD (Amsterdam, 2009, Opus Arte).
« Les Vénitiens à Paris »
Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé
Œuvres de Monteverdi, Legrenzi, Lotti, Caldara, Melani & Charpentier
26 mars – 20h
Paris - Eglise des Blancs-Manteaux
Journée d’étude « Les Vénitiens à Paris ».
27 mars – de 10 h à 18h (entrée libre)
Paris – Institut culturel italien
Mariana Flores et Anna Reinhold (sop.)
La Capella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón
Œuvres de Cavalli, Rossi & Sacrati
28 mars - 20h 30
Paris - Eglise Saint-Germain-l'Auxerrois
Rens. : www.vcbm.it
Photo @ DR
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