Pour retrouver le vrai répertoire de l’Opéra Comique, il fallait embarquer fin mars sur la Péniche Opéra de Mireille Larroche. En guise d’adieu, après trois décennies passées à la tête du vaisseau le plus imaginatif de l’océan lyrique, elle avait décidé de tirer le feu d’artifice de la folie avec, d’abord, l’extraordinaire incarnation de Paul-Alexandre Dubois dans les Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies, puis, l’humour irrésistible de Dominique Visse et de ses complices de l’Ensemble Clément Janequin passant du baroque à la chanson d’aujourd’hui, et pour finir avec L’Ile des Fous d’Egidio Duni (1709-1775) confiée aux Paladins de Jérôme Correas.
 
Quel travail pour parvenir à pareille d’aisance tant dans la parole que dans le chant ! Tout cet art que retrouvent les Paladins s’est perdu. Il représente pourtant le cœur de notre tradition lyrique : afin de ne pas empiéter sur les privilèges du très royal Opéra de Paris, s’était en effet développé un genre particulier à la salle Favart fait de légèreté et de gaîté, fondé sur le pastiche. L’entreprise était d’autant plus aisée qu’il existait des catalogues de « timbres » (d’airs bien typés) : air de la folie (justement !), du sommeil (comme celui d’Atys de Lully), de fureur, de douleur, etc. Il suffisait aux compositeurs légers d’y puiser pour réaliser un « copié-collé » d’avant Internet dont l’auditeur percevait immédiatement toute la charge ironique.
 
Ainsi l’Italien Duni réussit-il en 1760, trois ans après son arrivée à Paris, à se glisser dans la peau d’un authentique compositeur d’opéra-comique français tout en administrant la preuve au passage que le français n’a rien d’une langue anti-musicale, n’en déplaise au fâcheux Rousseau ! Un quatuor à cordes agrémenté du clavecin de Jérôme Correas fait plus qu’accompagner le spectacle que Mireille Larroche a placé dans un salon d’encyclopédistes, espace qui convient au mieux à son frêle esquif. A signaler une surprenante innovation avec la présence du peintre sur sable Christian Pochet dont les illustrations-minute sont joliment projetées sur le fond de scène.
 
Donc une demi-douzaine de membres de la bonne société de Louis XV décident de se distraire en embarquant, non pas pour Cythère, mais pour « L’Île des Fous » : le catalogue des pathologies est savoureux dans son réalisme. Les trois filles Françoise Masset, Aurélia Legay et Anouchka Lara minaudent à ravir de l’œil et de la glotte. Leurs correspondants mâles sont benêts à souhait, dominés cependant par le directeur de la clinique Fanfolin campé avec brio par le ténor Christophe Crapez. Jean Loup Pagesy (Sordide) et Franck T’Hézan (Brisefer) font plus que chanter les utilités.
 
Jacques Doucelin
 
Duni : L’Île des Fous – Paris, Péniche Opéra, 28 mars 2014