Depuis quinze ans, le Grand Prix Lycéen des Compositeurs a permis à des milliers d'élèves de se familiariser avec la création musicale contemporaine. Cette année, les jeunes auditeurs – et leurs professeurs – devaient départager six œuvres ayant connu une parution discographique récente. Au-delà du Grand Prix, décerné à Éric Tanguy (photo) pour Évocations pour violoncelle et piano (disque publié par Transart Live), cette manifestation sans égal est l'occasion pour les élèves de rencontrer les compositeurs, qui tous sont intervenus au sein des lycées durant l'année scolaire.
 
Ce lundi 7 avril, ce sont pas moins de 1000 élèves qui à leur tour se sont rendus au Théâtre du Châtelet, une majorité de Franciliens bien sûr, mais d'autres avaient fait le déplacement depuis Amiens, Mulhouse, Clermont-Ferrand ou encore Saint-Vincent-de-Tyrosse (Landes). Pendant plus de deux heures, les élèves ont ainsi pu échanger avec les compositeurs. La pertinence des questions posées, embrassant à la fois les aspects esthétiques et sociaux du travail du compositeur, témoigne de la qualité du travail mené dans les lycées – ce que Jacques Lenot, dont l'œuvre Chiaroscuro était en lice, a encouragé en incitant les jeunes jurés à garder leur curiosité toujours en éveil.
 
Aux postulants de 15^e Grand Prix (outre Éric Tanguy et Jacques Lenot, Nguyen-Thien Dao, Thierry Pécou, Yann Robin et Oscar Strasnoy, soit un panorama esthétique et générationnel impressionnant) s'était jointe Kaija Saariaho, lauréate l'an dernier. Son œuvre Ciel d'hiver pour orchestre a d'abord été donnée en avant-première pour les lycéens en début d'après-midi, avant sa création officielle le soir par l'Orchestre Lamoureux. Dérivée du second mouvement d'Orion, elle en est une version autonome et allégée, moins agitée et plus intime, quoique requérant toujours le grand orchestre. La limpidité des timbres, l'amplitude sonore de l'orchestre, l'imbrication des motifs mélodiques fait de cette œuvre d'allure essentiellement contemplative une belle réussite. Fayçal Karoui, qui a conduit parfaitement la longue ligne de ce nocturne orchestral, l'avait auparavant présenté au public, exemples musicaux à l'appui. Une telle démarche doit être encouragée pour les concerts mêlant création et répertoire, car elle peut donner aux auditeurs les quelques clefs qui leur permettent d'entrer plus sûrement dans un univers musical nouveau. À condition que cette présentation soit menée avec sincérité, dynamisme et intelligence : trois qualités que le chef de l'Orchestre Lamoureux possède au plus haut point.
 

Fayçal Karoui / Photo © DR
 
Une autre création, commande de Musique nouvelle en liberté (organisateur du Grand Prix) à Thierry Pécou, était programmée. On reconnaît dans Spinoza in Cuzco le goût et le talent du compositeur pour l'hybridation musicale : la confrontation des influences musicales européennes et andines ici est prétexte à la construction d'un imaginaire personnel. Pour autant, ce concerto pour quatuor et orchestre semble davantage empreint de quelques facilités (le rituel percussif du finale) que, par exemple, Tremendum, le « concerto-carnaval » qui concourait cette année pour le Grand Prix.
 
Fidèle à ses principes de programmation « mixte », Musique nouvelle en liberté avait demandé à l'Orchestre Lamoureux de jouer de la musique française du XIX^e siècle, en l'occurrence deux partitions de ballet. Fayçal Karoui dirige les extraits de Namouna de Lalo comme il le ferait dans la fosse, avec un beau sens de l'accentuation et un vrai souffle dramatique. Gaîté parisienne, pot-pourri de thèmes d'Offenbach orchestré par Manuel Rosenthal en 1938, convainc moins. La direction est élégante mais manque de flamme. Finalement, tout ici semble connu d'avance. C'est tout le contraire de la création, cette belle invitation à la curiosité qui reste la grande triomphatrice de cette journée.
 
Jean-Guillaume Lebrun
 
Paris, Théâtre du Châtelet, 7 avril 2014.

Pour en savoir plus : www.mnl-paris.com/web/evenements/grand_prix_lyceen_des_compositeurs

Photo © Yannick Coupannec