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Festival Extension de La Muse en circuit - Corps sonores -Compte-rendu
Le geste musical ne saurait être innocent. Tout concert a en lui-même sa propre dimension théâtrale. Pierre Roullier (photo), le directeur artistique de l'ensemble 2e2m, en est convaincu et il multiplie depuis des années les tentatives – souvent heureuses – de sortir les musiciens de leur statut de lecteurs de musique cachés derrière leurs pupitres. Sans même parler de la participation de l'ensemble à des productions lyriques où s'estompe la frontière entre le plateau et la fosse (comme Chat perché de Jean-Marc Singier, récemment repris à l'Opéra Bastille et en tournée, ou le Chantier Woyzeck d'Aurélien Dumont, en création le 16 mai prochain à Vitry-sur-Seine), la dimension spectaculaire – ou au moins une conception scénique de l'interprétation musicale – est devenue un élément important des concerts de 2e2m.
Démonstration en est faite ce mercredi 30 avril avec les œuvres de trois compositeurs européens. Ondřej Adámek (né en 1979), compositeur en résidence auprès de l'ensemble en 2012, avait déjà montré son goût pour une musique qui prendrait possession du lieu où elle est jouée (Coups d'ailes créé au Louvre en 2008, devant la Victoire de Samothrace ou, plus récemment, Le Dîner, créé par 2e2m avec la plasticienne Charlotte Guibé). Karakuri – Poupée mécanique est une œuvre hybride, donnant à voir autant qu'à entendre, inspirée par les automates (les Karakuri Ningyo) du Japonais Hisashige Tanaka. C'est d'abord une affaire de gestes – et de quelques onomatopées – qu'accomplit la soprano Shigeko Hata. Sur cette mécanique, pantomime élémentaire, l'ensemble vient progressivement poser son commentaire, d'abord par simple imitation puis avec toujours plus d'invention sonore, exigeant de Pierre Roullier une direction très dynamique et d'une précision horlogère.
Pas de chef en revanche pour l'œuvre de Simon Steen-Andersen, compositeur danois né en 1976, en résidence cette saison auprès de l'ensemble. Au fond de la scène, Håkon Stene, « performer », les mains plongées dans une boîte noire. Au-dessus de lui, projetés sur un écran, ses gestes à l'intérieur de la boîte. Dans la salle, entourant le public, l'orchestre : vents, percussions et cordes. Ici encore, le geste est à l'origine de l'œuvre et la musique est d'abord le son amplifié de la boîte noire : claquements de doigts, cliquètement d'un interrupteur... L'ensemble le reprend, l'amplifie, le commente, le transforme, s'émancipant parfois de l'alphabet de signes que semblent lui adresser l'écran. Black Box Music marie avec intelligence les deux mondes sonores de l'orchestre et de la scène.
L'Autrichienne Olga Neuwirth a toujours cherché les voies d'une musique ouverte aux autres expressions artistiques. Avec Hommage à Klaus Nomi, qui séparait les œuvres d'Adámek et de Steen-Andersen, elle met en abyme les influences multiples de l'icône allemande. Tout autant que le contre-ténor Daniel Gloger, l'orchestration nimbée de sonorités synthétiques typiques des années quatre-vingt participe à la reconstitution de l'univers de l'inclassable chanteur.
Ce concert, le dernier de la saison de 2e2m à l'auditorium du Conservatoire de la rue de Madrid, était aussi le premier du festival Extension organisé par le centre national de création musicale La Muse en circuit. Le Palais de Tokyo accueillait deux jours plus tard, toujours dans le cadre d'Extension, un concert consacré à deux œuvres de François Sarhan (né en 1972). Mise en scène et mise en son du corps sont là encore de la partie. Dans Homework, le corps de l'interprète – l'excellent Samuel Favre, percussionniste à l'Ensemble intercontemporain – devient son propre instrument – un instrument forcément expressif.
Dans sa nouvelle pièce, Wandering Rocks, le geste est au contraire largement dissocié du résultat sonore. Confiée à un quatuor de guitares électriques, la partie instrumentale est entendue par le filtre d'effets en tous genres (amplification, distorsion, sons échantillonnés). S'y ajoute un environnement sonore minutieusement composé, son après son, dans les studios de La Muse en circuit à partir de synthétiseurs analogiques : une partition sonore qui ne sonne par la grâce d'aucun geste sinon par le déplacement de l'auditeur d'une source à l'autre – et par la capacité d'illusion que met en œuvre l'activité d'écoute.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Auditorium Landowski du CRR de Paris, 30 avril et Palais de Tokyo, 2 mai 2014.
Le festival Extension se poursuit jusqu'au 27 mai 2014 Rens. www.alamuse.com
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