Journal
Georges Aperghis au Festival Manifeste - Mots cherchent musique - Compte-rendu
Georges Aperghis est l'un des inventeurs du théâtre musical. Depuis plus de quarante ans, le compositeur explore les jeux combinés de la voix, des mots, de la musique et du geste. Son œuvre forme ainsi un chassé-croisé de formes. Certaines sont reconnaissables : Die Hamletmaschine (2000) est un vrai oratorio, Les Boulingrin (2010), d'après Courteline, un vrai opéra bouffe ; d'autres le sont beaucoup moins.
Les deux spectacles donnés dans le cadre de Manifeste relèvent assurément de cette dernière démarche, en quête d'une réponse à la question de la représentation des jeux du verbe et du son. Un temps bis n'est pas une œuvre musicale au sens habituel du terme. Avec trois partitions au programme – la Toccatina d'Helmut Lachenmann (1986), Ali de Franco Donatoni (1977) et Uhrwerk de Georges Aperghis lui-même (en création) – ce pourrait être plutôt un concert mis en scène. Mais il y a la voix, et le texte : non pas mis en musique ni accolé à elle mais juxtaposé. Valérie Dréville (photo à g) lit Samuel Beckett, joue – ou plutôt porte sur scène – des extraits d'Immobile, des Mirlitonnades ou encore de Bing, les enchaîne avec les œuvres musicales interrétées par l'altiste Geneviève Strosser (photo à dr.). Textes et musiques se répondent par leur unité thématique : l'immobilité ou le mouvement répété. L'intrusion de l'altiste dans le texte, la musicalité de l'écriture de Beckett évitent l'écueil du concert-lecture à l'alternance trop prévisible. Il reste que, pour emplir l'espace scénique, y faire résonner plus continûment les mots et les sons, la scénographie reposant exclusivement ou presque sur les lumières de Daniel Lévy (aussi subtiles soient-elles) peine à donner sur la durée sa cohésion à ce « moment composé ». Paroles et musique donc, mais épars.
Le festival organisé par l'Ircam reprenait ensuite Luna Park, un spectacle créé il y a trois ans, quand la manifestation s'appelait encore Agora. L'effectif musical est à peine plus étoffé que celui d'Un temps bis : deux voix (celle de la danseuse Johanne Saunier et celle du percussionniste Richard Dubelski), deux instruments (deux flûtes). Mais le propos est quasiment inverse : quand Un temps bis joue sur la raréfaction des mots et des notes et sur le reconnaissable « retour du même », Luna Park est un kaléidoscope où la surabondance des informations empêche de bien saisir le sens d'aucune. La dimension spectaculaire, pleinement assumée, permet cette inflation : chaque geste des musiciens est filmé, reproduit, transformé car recadré, visible en temps réel sur une batterie d'écrans. Pareil pour le son – voix et instruments – sur lequel le dispositif informatique développé à l'Ircam par Grégory Beller permet de jouer en temps réel : des capteurs fixés sur les mains de Richard Dubelski agissent sur le rythme et l'intonation des mots (ou, le plus souvent, de leurs syllabes) et font de son corps un instrument qui répercute la musique. Georges Aperghis signe ici un spectacle haletant et déroutant, forçant le spectateur à frayer son propre chemin dans ce paysage sous surveillance illusoire.
Jean-Guillaume Lebrun
Gennevilliers, T2G, 12 juin 2014 ; Paris, Centre Georges Pompidou, 15 juin 2014.
Le festival Manifeste se poursuit jusqu'au 10 juillet. Georges Aperghis y anime un atelier de composition (création d'une œuvre de Pablo Galaz le 2 juillet à 20h au Centquatre). http://manifeste.ircam.fr
Photo (de g à dr.) : Valérie Dréville, George Aperghis, Geneviève Strosser / © Xavier Lambours
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