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Otello aux Chorégies d’Orange - De l’électricité sur scène – Compte-rendu
Otello aux Chorégies d’Orange - De l’électricité sur scène – Compte-rendu
Roberto Alagna incarne enfin Otello sur une scène française : comme on pouvait s’y attendre public s’est rendu en masse au Théâtre antique, impatient d’entendre son idole dans un rôle terriblement lourd et exigeant.
Héros blessé dans sa chair et dans son esprit, le ténor se révèle magnifique de présence dramatique. Son timbre lumineux emporte l’adhésion dès son apparition : la fougue et la sincérité se prolongent tout au long de la représentation avec un réel pouvoir d’émotion. La maîtrise du registre medium et grave allant jusqu’aux râles d’un timbre marqué par les affres de la jalousie puis de la douleur, témoigne d’une parfaite identification affective au Maure et l'interprète réussit même à faire oublier quelque fatigue in fine par son implication et son sens du théâtre.
Le baryton Seng-Hyoun Ko possède des ressources vocales impressionnantes et une présence implacable, donnant au manipulateur Iago une dimension noire, voire satanique, au détriment parfois de la finesse insidieuse. La Desdemone d’Inva Mula, angélique, bouleversante de fragilité, d’intensité recueillie (cantilène du saule et Ave Maria), suscite émotion et empathie, dosant la puissance de sa grande voix lyrique pour mieux dégager le caractère sacrificiel du personnage. Parmi les seconds rôles, se détachent le Cassio noble de Florian Laconi et l’inquiète Emilia de Sophie Pondjiclis.
La mise en scène traditionnelle de Nadine Duffaut, un peu gesticulante au début dans les scènes de foule, se déploie ensuite avec aisance sur le large plateau du Théâtre antique. La scénographie d’Emmanuelle Favre dégage intelligemment et sobrement le caractère psychologique de l’œuvre grâce à des projections en noir et blanc sur un miroir vénitien brisé où apparaissent séparément Otello et Desdemone au faîte de leur amour, alors que le drame se noue sur scène. Les superbes costumes Renaissance de Katia Duflot dans des étoffes à dominante grise mettent en valeur le pourpoint rouge d’Otello ou la robe virginale de Desdemone.
Le véritable triomphateur de cette soirée pourrait pourtant bien être l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui, sous la baguette tellurique, incisive, précise de Myung Whun Chung, accompagne la progression du drame. Maître des éléments, d’un engagement et d’une concentration qui se lisent sur son visage, le chef coréen dirige par cœur une partition qu’il connaît comme personne. Le déchaînement de la tempête initiale, la subtilité de l’accompagnement des voix, une palette infinie de sonorités (introduction de l’acte III), réussissent même à vaincre le souffle insistant du vent par une tension prégnante de plus de deux heures.
L’enthousiasme du public se montre digne des grandes soirées des Chorégies. Applaudissements fournis, rappels prolongés, saluent avec ferveur la qualité de cette production au terme de laquelle les interprètes, comme il se doit, mais aussi les intermittents sont conviés sur le plateau. (1)
Michel Le Naour
Verdi : Otello - Chorégies d’Orange, 5 août 2014
(1) Raymond Duffaut, directeur des Chorégies, a en effet invité l’ensemble des intermittents impliqués dans la production à se joindre aux chanteurs et musiciens au moment des saluts.
Photo © Gromelles
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