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Inauguration de l'orgue restauré de Notre-Dame de Paris – Fallait-il pour autant l'agrandir ? - Compte-rendu
Le 20 septembre 2014 en soirée était inauguré le grand orgue restauré de Notre-Dame de Paris. La précédente restauration avait donné lieu à une inauguration d'apparat le 4 décembre 1992. Vingt-deux ans seulement entre deux campagnes de travaux de grande envergure ? Les raisons objectives pour justifier ce nouveau chantier ne manquent pas. À commencer par la fréquentation de la cathédrale, monument le plus visité de la capitale : pour 2013, sur quelque 73 millions de visiteurs tous sites culturels parisiens confondus, Notre-Dame arrive en tête avec 13 millions de pèlerins de notre temps (14 millions selon certaines sources), loin devant le Louvre (9,2 millions – dont l'entrée, certes, est payante). Soit sensiblement plus de 30 000 visiteurs par jour : on imagine le défi que représente une telle fréquentation, massive, ininterrompue.
L'humidité, entre autres aspects de la problématique, qui se dégage de la respiration de chaque touriste entrant dans la cathédrale fait que la poussière qu'il apporte avec lui se fixe dans l'édifice et sur l'ensemble du mobilier, orgues compris – jusqu'à l'asphyxie. Un relevage et avant tout un grand nettoyage (avec dépose des tuyaux) étaient devenus indispensables pour un instrument qui comme celui de Saint-Eustache, à son tour en travaux (jusqu'en décembre, si tout va bien), est soumis à une utilisation intensive.
D'où deux années d'arrêt complet, en deux phases : de septembre 2011 à décembre 2012 (pour que l'orgue soit utilisable en 2013, année du jubilé de la cathédrale), avec en premier lieu la réfection des transmissions électriques : le système Synaptel de 1992, prototype de traction informatique non évolutif (Synaptel, qui plus est, ayant disparu peu après), avait dès 2000 commencé de flancher, de façon aléatoire et toujours sans crier gare ; le nouveau système, signé Eltec (Cuneo, Italie) et que l'on peut mettre à jour comme n'importe quelle installation informatique actuelle, « est un produit industrialisé, donc éprouvé et qui a été simplement paramétré pour piloter l'orgue de Notre-Dame ».
La cerise sur le gâteau fut l'installation sans tambours ni trompettes d'une console neuve (de couleur claire esthétiquement guère en harmonie avec le buffet d'orgue) – il fallut que les internautes du monde entier réclament d'en savoir et d'en voir davantage pour qu'enfin une photo de la console flambant neuve (au demeurant d'une fiabilité appréciée des instrumentistes) soit postée sur le site Internet de la cathédrale, brisant le mystère qui avait jusqu'alors prévalu… Le moins que l'on puisse dire, c'est que la communication ne fut guère à la hauteur de l'enjeu médiatique et des sommes investies par l'État.
La seconde tranche de travaux, celle que l'on vient d'inaugurer, s'est déroulée entre septembre 2013 et août 2014 : « un système de motorisation des registres par vérins pneumatiques haute pression a été fourni en substitution aux machines de tirages de jeux de Cavaillé-Coll, mises hors service en conservation », pour citer Éric Brottier, technicien-conseil auprès du Ministère de la Culture et de la Communication, en charge du chantier, parallèlement à la restauration complète des machines pneumatiques de tirages des notes, à la consolidation des tuyaux de façade, à la dépose et au nettoyage de l'ensemble de la tuyauterie de métal (et de la majeure partie des tuyaux de bois), le tout couronné d'un accord général des 7952 tuyaux (mai-août). Autant d'interventions magnifiquement menées à bien par les ateliers de Bertrand Cattiaux et de Pascal Quoirin.
Là où le bât blesse, c'est que l'on a jugé utile, en ces temps de vaches on ne peut plus maigres (en d'autres temps, pourquoi pas, mais maintenant ?), d'agrandir l'orgue qui était déjà le plus grand de France, d'une taille évidemment suffisante pour, tout simplement, faire de la musique dans un respect optimal des divers répertoires. Non sans quelques raisons musicales, bien sûr, puisque se trouvent ainsi corrigées certaines anomalies, comme l'absence de mixtures sur un clavier expressif – le Récit expressif de l'orgue de Cochereau avait pourtant Fourniture et Cymbale, mais pas celui de 1992… Cochereau qui avait déjà fait agrandir la Pédale de Cavaillé-Coll (30 notes) en y ajoutant un sommier dit de « Petite Pédale » (32 notes).
C'est ce plan sonore qui a été augmenté, rebaptisé Résonance expressive et disposé dans deux boîtes au sommet des grandes tourelles latérales. Porté à 56 notes, de manière à constituer une floating division (selon la terminologie anglo-américaine) pouvant être jouée depuis chacun des cinq claviers manuels et par le pédalier, il est désormais doté de 18 jeux, dont deux de mutations rarissimes : une Neuvième 3 5/9 et une Onzième 2 10/11 – idéal pour la musique de Jean-Louis Florentz, assurément. Soit 116 jeux répartis sur sept plans sonores. Ce n'est pas la qualité des travaux réalisés qui est en cause, mais le bien-fondé d'un tel élargissement, dont on devine qu'il aura absorbé une grande partie des crédits (de type peau de chagrin) concédés aux orgues neufs, donc au détriment d'autres instruments.
Bien sûr, rien n'est trop beau pour Notre-Dame de Paris, dont l'orgue est l'un des plus célèbres au monde et tient lieu de vitrine surexposée de la vie organistique française. Était-ce pour autant raisonnable, voire décent, conforme à la période que l'on connaît ? D'autant que l'on dénote une absence complète de communication à destination du grand public, tel celui des concerts de Notre-Dame, sur la manière dont les décisions sont prises, et par qui, ou encore sur le chiffrage précis de l'opération. Bref, un certain malaise, à tout le moins, semble à juste titre perceptible…
Les concerts d'inauguration à plusieurs interprètes sont rarement de grands moments d'émotion. On en eut confirmation le 20 septembre, sans qu'aucun des trois titulaires du grand orgue de Notre-Dame ait démérité. Magnifique musicien, Jean-Pierre Leguay joua Buxtehude (Praeludium BuxWV 140) sans trouver la manière, sur un orgue foncièrement moderne – le Cavaillé-Coll de 1868 est depuis longtemps devenu une composante, bien qu'essentielle, parmi d'autres –, de faire vivre cette musique appelant le mordant de l'orgue ancien : il faut trouver le biais à même de l'évoquer, faute de quoi les notes se succèdent sans l'esprit requis, même transposé.
Le grand ut mineur BWV 546 de Bach ne fut pas vraiment mieux servi : fausse bonne idée, dans le Prélude, que ces anches à tous les plans sonores qui recentrent la tessiture et brouillent les lignes. L'improvisation, de prime abord dépressive et peu caractéristique de sa manière, devait toutefois lui permettre de faire sonner grandement l'instrument, désormais d'une stabilité et d'un équilibre parfaitement convaincants. Philippe Lefebvre offrit ensuite un Deuxième Choral de Franck aux envolées parfois brouillonnes bien que d'une franchise de ton et d'une énergie de bon aloi – mais le final, Résurrection, de la Symphonie-Passion de Dupré n'a certes pas détrôné le souvenir de l'œuvre sous les doigts d'Yves Castagnet, cependant que l'instrument continuait de faire merveille. C'est indéniablement à Olivier Latry que l'on dut les moments les plus magiques de cette soirée : Prélude à L'Enfant noir de Florentz et surtout Alléluias sereins d'une âme qui désire le ciel de L'Ascension de Messiaen, subjuguants de subtilité et de raffinement, d'« orchestration » et de spatialisation, puis Fantasmagorie (un rêve !) et Litanies de Jehan Alain. Philippe Lefebvre referma la soirée avec une improvisation grand format offrant un riche aperçu des possibilités de l'orgue relevé.
Les festivités vont se poursuivre – concerts de 20 h 30 à entrée libre – avec les récitals de chacun des cinq organistes de la cathédrale (tribune et chœur) : Olivier Latry (27 septembre), Jean-Pierre Leguay (le 30), Yves Castagnet (2 octobre), Philippe Lefebvre (le 4) et Johann Vexo (le 7). Quatre concerts du mardi (entrée payante) sont d'ores et déjà programmés : Michel Bourcier (cathédrale de Nantes) le 9 décembre ; François-Henri Houbart (Paris, La Madeleine) le 17 mars 2015 ; Philippe Brandeis (Sacré-Cœur de Montmartre et cathédrale Saint-Louis des Invalides) le 28 avril ; Pierre Méa (cathédrale de Reims) le 16 juin.
Quant aux fameux « concerts du dimanche » créés par Pierre Cochereau en 1968 (et régis par François Carbou), déplacés au samedi soir – très heureuse initiative ! – et toujours à entrée libre, ils reprennent dès le 11 octobre, avec d'ici la fin de l'année 2014 uniquement des titulaires de grandes tribunes parisiennes, successivement : Pierre Cambourian (Saint-Vincent-de-Paul), Loïc Mallié (La Trinité), Christophe Mantoux puis Véronique Le Guen (Saint-Séverin), Vincent Warnier (Saint-Étienne-du-Mont), Sophie-Véronique Choplin (Saint-Sulpice), Éric Lebrun (Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts), Aude Heurtematte (Saint-Gervais), Thierry Escaich (Saint-Étienne-du-Mont) et Liesbeth Schlumberger (temple de l'Étoile).
Michel Roubinet
Paris, Notre-Dame, 20 septembre 2014
Sites Internet :
Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris :
Inauguration du grand orgue restauré
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article371
Le grand orgue de tribune
notredamedeparis.fr/spip.php?rubrique28
L'orgue de chœur
notredamedeparis.fr/spip.php?rubrique29
Saison 2014-2015
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?rubrique52
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À LIRE ÉGALEMENT
> Incendie de Notre-Dame de Paris - Le grand orgue a priori globalement épargné
> Les 150 ans du Cavaillé-Coll de Notre-Dame - Hommage des cinq organistes et de la Maîtrise
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