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Doña Francisquita d'Amadeo Vives - La zarzuela conquérante

-Le Capitole de Toulouse affiche (du 21 au 31 décembre) ce qui peut apparaître comme la plus célèbre des zarzuelas : Doña Francisquita. La plus célèbre… en compagnie d’une ou deux autres, comme La verbena de la Paloma de Tomás Bretón ou Luisa Fernanda de Federico Moreno Torroba (1). Une réputation internationale assez exceptionnelle, qui corroborerait dans ces cas le mot audacieux de Max Aub (2) quand il qualifie le genre de la zarzuela de « théâtre espagnol universel ». Pour Doña Francisquita s’ajoute le renom de son compositeur, Amadeo Vives, qui a su franchir lui aussi les frontières des Pyrénées.
 
C’est ainsi qu’après sa création triomphale, le soir du 17 octobre 1923 au théâtre Apolo de Madrid, l’œuvre se répandra à travers toute l’Espagne, puis de par le monde. Durant les vingt ans qui suivent, se comptabilisent – très exactement – 5 210 représentations, dont 682 à Madrid, 896 à Barcelone et 982 à Buenos Aires ! Dans cette ville, le succès est tel qu’il provoque une parodie théâtrale, Doña Francisquita la maleva (avec une action transposée dans les faubourgs de la capitale argentine). Au cours de ses pérégrinations, l’ouvrage suscite des versions en anglais et en français, cette dernière due aux plumes conjuguées d’André de Badet et René Bergeret (qui n’ont guère laissé d’autre trace remarquable) et créée en 1933 à l’Opéra de Monte-Carlo ; ensuite reprise dans différentes villes de France, à la Monnaie de Bruxelles, programmée à l’Opéra-Comique à Paris (annulée seulement du fait de la guerre civile éclatée en Espagne). Comme des réalisations cinématographiques, en 1934 par Hans Behrendt, puis en 1953 par Ladislao Vajda. La gravure discographique s’y est mis rapidement, dès 1924, jusqu’à atteindre douze versions différentes (dont par deux fois avec Alfredo Kraus). C’est dire la popularité de la pièce, qui depuis lors ne s’est guère démentie. La production, propre, du Capitole constitue ainsi une reprise de représentations données dans ce même théâtre en juin 2007.
 
LA FIGURE RESPLENDISSANTE DE VIVES
Au moment de la création de ce qui constituera son plus grand succès, Amadeo Vives est un compositeur à la réputation solidement établie à Madrid, au faîte de la renommée. Né en 1871 dans un petit village catalan, il a fait ses premières armes musicales dans la voisine Barcelone, avant de s’installer définitivement en 1898 dans la capitale espagnole. Il est piquant de noter que ses modestes parents boulangers devaient avoir une prémonition de la future vocation de leur rejeton, en le baptisant d’un prénom, Amadeo, ou Amadeu en catalan, repris de celui d’un autre musicien, et autrement illustre ! Toujours est-il que Madrid scelle sa carrière, avec un corpus considérable d’ouvrages lyriques, voguant de l’opéra à la zarzuela et ponctué de nombreux succès. Parmi ceux-ci, et qui perdurent toujours : Bohemios (1904, comme un décalque des juste antérieures Bohème de Puccini et de Leoncavallo, mais avec un héros compositeur sur une musique finement construite), Colomba (1910, sombre drame d’un vérisme transcendé), La generala (1912, plagiat d’opérette viennoise), ou Maruxa (1914, zarzuela « sans passage parlé » portée par un magnifique lyrisme).
 
Doña Francisquita survient en 1923 comme un point de quasi non-retour. Cette zarzuela marque en effet un arrêt soudain dans une production jusque-là échevelée, à raison de deux ou trois œuvres par an. C’est ainsi que quatre années d’abstinence lyrique précèdent la prochaine création : La villana, tragi-comédie et zarzuela de grande envergure, peut-être le chef-d’œuvre de Vives. Viennent ensuite seuls quatre autres titres, jusqu’au décès du compositeur survenu à Madrid en 1932. À ses obsèques assiste le gouvernement espagnol au complet – témoignage d’une époque, enviable, ou l’art et la culture étaient honorés par les institutions politiques. En l’espèce, c’est aussi la reconnaissance d’une figure majeure, non seulement de la zarzuela, mais de la musique tous styles et genres confondus. Car Vives porte la marque des grands, avec une signature qui n’appartient qu’à lui : dans des airs, chœurs et ensembles irrésistibles de chaleur communicative dont il avait le secret ; sertis d’une orchestration et d’une harmonisation toujours finement travaillées, qui démontreraient combien séduction peut rimer avec exigence.
 
UNE ZARZUELA MODÈLE
Doña Francisquita constitue donc une étape capitale dans la carrière et l’œuvre du musicien. L’ouvrage se veut une récapitulation de tout un héritage : à la croisée de différentes influences propres à la zarzuela ; comme également un ressourcement dans le fonds du legs culturel espagnol. Sous-titrée « comedia lírica », « comedia » à la manière des classiques du théâtre du Siècle d’Or espagnol, la zarzuela s’inspire d’une pièce de cette époque fastueuse : La discreta enamorada, écrite vers 1608 par Félix Lope de Vega. Les librettistes de cet arrangement, Federico Romero et Guillermo Fernández Shaw, étaient alors un duo reconnu, au talent éprouvé dans le domaine lyrique. Ils retiennent de la trame de Lope de Vega les principaux protagonistes et une action allégée : les démêlés de l’héroïne, Francisquita, amoureuse de Fernando, qui lui n’a d’yeux, avant de changer de sentiments, que pour Aurora, une actrice coquette. Un prétexte de comédie, pour planter un Madrid haut en couleurs. Car, ouvertement, l’œuvre entend faire référence et révérence à La verbena de la Paloma, archétype génial tout à la gloire du petit peuple des quartiers de Madrid. Ici élargi à trois actes, en grand format en quelque sorte ; puisque La verbena, créée en 1894, se pliait au critère de « zarzuela chica » en un seul acte. Et c’est ainsi que l’action est transportée au XIXe siècle, au plus fort d’une zarzuela illustrée vaillamment, outre Bretón, par Francisco Barbieri, Federico Chueca ou Ruperto Chapí. Autant de compositeurs dont on retrouve les traces, en forme d’hommages, au fil de la partition.  
 
Le tout est mené magistralement, avec un savoir-faire dramatique et musical incomparable ; sauf chez certains des grands rivaux du moment, Moreno Torroba ou Pablo Sorozábal, dont les postérieurs Luisa Fernanda et La tabernera del puerto ne sont pas sans présenter des affinités. Il n’est que de noter, dans Doña Francisquita : la complexité des multiples interventions et personnages (héritière assurément de Pan y toros de Barbieri) qui ouvre l’œuvre, à l’égal du final du Ier acte et d’autres scènes de foule ; l’inspiration mélodique étreignante de la romanza de Fernando ; l’élan irrésistible du célèbre Fandango, merveille d’orchestration ; la délicatesse du duo conclusif, au rebours de toute rodomontade, précédant l’impétueux bref final… Comme aussi l’ambition de la structure, avec, en sus d’un chœur omniprésent, pas moins de 33 rôles chantés stipulés ! Ce qui contredirait déjà l’idée simple, sinon simpliste, que se font certains du genre même de la zarzuela…
 
On relèvera, pour l’anecdote, que Vives, cloué sur son lit par les soubresauts de la poliomyélite qui le frappe depuis son enfance, n’avait pu avant la première achever l’orchestration. Suppléée par un travail collectif que livrent Joaquín Turina, Conrado del Campo, Pablo Luna et Ernesto Rossillo – bel hommage au musicien ! Vives révisera néanmoins par la suite l’ensemble (version définitive que corrobore la récente édition critique de la partition).
Il faudra se précipiter au Capitole, pour seulement sept représentations. À ne surtout pas manquer.
 
Pierre-René Serna
 
 
 
Vives : Doña Francisquita 
Les 21, 23, 25, 26, 28, 30 et 31 décembre 2014
Toulouse – Théâtre du Capitole
(dans une mise en scène d’Emilio Sagi, talentueux spécialiste de ce répertoire, des décors d’Ezio Frigerio, sous la direction de Josep Caballé Domenech, avec Elisandra Melián,
Clara Mouriz et Joel Prieto).
www.theatreducapitole.fr
 
 
1) Voir notre dossier en trois épisodes : Une Brève Histoire de la Zarzuela
I - Floraison baroque : www.concertclassic.com/article/une-breve-histoire-de-la-zarzuela-i-floraison-baroque
II - Renaissance éclatante au XIXe siècle : www.concertclassic.com/article/une-breve-histoire-de-la-zarzuela-ii-renaissance-eclatante-au-xixe-siecle
III - Apogée et fin : le XXe siècle : www.concertclassic.com/article/une-breve-histoire-de-la-zarzuela-iii-apogee-et-fin-le-xxe-siecle  
 
2) Max Aub, écrivain d’origine allemande et française mais de langue espagnole, ami de Malraux, fut un intellectuel influent durant la République espagnole.
 
À écouter :
 - le splendide enregistrement dirigé par Antoni Ros Marbà, avec María Bayo et le dernier Alfredo Kraus (Naïve) ; ou à défaut, l’enregistrement dirigé par Miguel Roa, avec Plácido Domingo (Sony Classical).
- le tout récent disque de la soprano Pilar Jurado, avec l’Orchestre et le Chœur de la Radio-Télévision espagnole sous la direction de Cristóbal Soler, comportant de captivants extraits de zarzuelas, certains inédits, dont de Doña Francisquita qui nous occupe (El diablo en el poder/RTVE).
 
Photo © Patrice Nin

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