Si tradition rime le plus souvent avec nuit des temps, il n'en faut pas moins un début. Pour ce qui est de l'époque récente, il semble que France Musique ait laissé passer l'occasion de fêter Noël en musique. Les choses ont changé l'année dernière, lorsqu'une première veillée-concert, diffusée le 24 décembre en soirée, fut programmée et enregistrée dans l'une des plus belles églises du Quartier latin : Saint-Séverin – où cette année on fêtera la Saint-Sylvestre ! (1) Changement radical de décor et de type d'instrument pour la veillée 2014, mais pas vraiment de quartier, puisque c'est à Saint-Sulpice que Benjamin François, producteur de Sacrées Musiques (le dimanche matin sur France Musique) après plusieurs saisons d'Organo Pleno, avait convié musiciens et public (entrée libre) pour une longue, riche et chaleureuse soirée associant Radio France, Le Paris des Orgues et Harmonia Mundi.
 
La programmation vocale fit alterner l'Ensemble Sagittarius de Michel Laplénie et le Chœur de Radio France dirigé par Sofi Jeannin, avec aux cinq claviers de l'orgue Cavaillé-Coll, le plus grand jamais sorti des ateliers de l'illustre facteur (à l'époque, en 1862, encore rue de Vaugirard, avant de passer avenue du Maine en 1867), son titulaire : Daniel Roth, lequel fêtera en octobre prochain ses trente ans de titulariat, après plus de vingt années passées au Sacré-Cœur, autre grand Cavaillé-Coll (2). Avec en guise d'entrée en matière le carillonnant Prélude et Fugue en ut majeur BWV 547 de Bach, dit « Prélude de Noël » en raison de ses liens avec les Cantates de la Nativité BWV 63 et de l'Épiphanie BWV 65.
 
La Nativité fut de tous temps une source généreuse d'inspiration musicale, le programme vocal de ce concert s'étant inséré dans le fil de l'histoire à partir du prébaroque allemand : extraits des recueils de concerts choraux Opella Nova de Johann Hermann Schein, puis des Kleine geistliche Konzerte de Heinrich Schütz. L'Ensemble Sagittarius en formation « minimale », soit cinq voix seulement, mais radieuses – quelle plénitude ! –, tant en solistes qu'en « chœur » puissamment soudé : Véronique Housseau et Eugénie de Padirac (sopranos), Alexis Knaus (haute-contre), Sebastian Monti (ténor) et Florent Baffi (basse), accompagnés de Julia Griffin (viole) et de Benoît Babel (orgue positif).
 
Après quoi le Chœur de Radio France, sous la direction de Sofie Jeannin (chef de la Maîtrise de Radio France), fit majestueusement retentir, placé sous l'imposante tribune de l'immense buffet de Chalgrin, des pages signées Mendelssohn et Bruckner. Entre deux ensembles de pièces, présentation des œuvres tant par Michel Laplénie que par Sofie Jeannin – qui évoqua avec Benjamin François les traditions, musicales et… gastronomiques de Noël dans son pays d'origine : la Suède.
 
Il faut bien confesser qu'avant le début de l'enregistrement, un petit exercice fut proposé au public, invité en cours de soirée à chanter trois pages célébrissimes de Noël – d'où petite répétition sous la conduite, merveilleuse d'empathie, d'un maître de chant de première grandeur : la soprano Françoise Masset, qui de son timbre lumineux, mais aussi par sa chaleureuse et parfaite diction, mit le public en confiance. Certes, on était à Paris, pas en Alsace, par exemple au Festival de Masevaux où la tradition, encore et toujours, veut que le public soit invité en fin de concert à entonner un choral que, là-bas, chacun connaît et souvent pratique, si bien que plusieurs centaines d'auditeurs finissent par constituer un chœur aussi spontané qu'aguerri… Mais l'assistance de Saint-Sulpice se défendit bien, au cours de ses trois interventions : Venez divin Messie, Il est né le divin enfant et Minuits, Chrétiens.
 
À l'issue du premier chœur d'assemblée, Daniel Roth offrit de César Franck une page trop rarement entendue sous sa forme originale et qui, transcrite par Roth lui-même, constitue un remarquable enrichissement du catalogue organistique de Franck : l'Interlude symphonique de Rédemption. Marcel Dupré l'avait déjà transcrit, son successeur, Jean-Jacques Grunenwald, ayant pris pour habitude de jouer cette version au moment de Noël à Saint-Sulpice.
 
Entracte – et vin chaud…
 
Puis de nouveau le Chœur de Radio France, autour du cantique de Noël « Une rose est éclose », réinterprété par l'Anglais Herbert Howells (A Spotless Rose, 1919), le Thuringien Michael Praetorius (Es ist ein Ros’ entsprungen, 1609) et le Suédois Jan Sandström (Det är en Ros Utsprungen, 1987) ; puis le dernier mouvement de la Symphonie gothique de Widor – dont la sépulture se trouve dans la crypte de Saint-Sulpice (3) – suivi de Weihnachten, des sept Pièces op. 145 (1913-1914) de Max Reger, où transparaît, délicieusement estompé, le thème de Stille Nacht (« Douce nuit »).

Et la musique française ? Elle fit enfin irruption avec O magnum mysterium de Poulenc (premier des Quatre Motets pour le temps de Noël, 1951), le fameux Adieu des Bergers à la Sainte Famille de L'Enfance du Christ de Berlioz – accompagné du grand orgue, puissamment poétique avec « musettes et chalumeaux », et Minuit, Chrétiens d'Adolphe Adam (1847) sur un texte de Placide Cappeau (1843), également accompagné du grand orgue. Rude concurrence en perspective pour le public en fin de soirée ! Réparti de chaque côté de la nef – le long du banc d'œuvre et devant l'étonnante chaire « suspendue » –, le Chœur chanta pour finir le très pur Ubi caritas et amor de Maurice Duruflé (premier des Quatre Motets sur des thèmes grégoriens, 1960), suivi du Postlude du Triptyque pour la nuit de Noël (1993) de et par Daniel Roth.
 
L'Ensemble Sagittarius offrit ensuite cette petite merveille de fraîcheur et de pure vocalité qu'est la Missa Quinti Toni pro Tempore Nativitatis Domini (1700) de Sébastien de Brossard, « dont tous les chants sont tirés des cantiques appelés en France Noëls » (4). C'est à Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (5) qu'il revint de refermer cette veillée de Noël : improvisation grand format sur des thèmes de noëls traditionnels, elle-même suivie du Minuit, Chrétiens de l'assistance…
 
À vivre ou revivre sur les ondes de France Musique le 24 décembre, de 22 heures à 0 h 15 – et à réécouter en ligne pendant 30 jours.
 
Michel Roubinet
 
Paris, église Saint-Sulpice, Paris, 17 décembre 2014
 
 
(1) Concert donné le 31 décembre à 21 heures par les quatre organistes titulaires : Michel Alabau, François Espinasse, Véronique Le Guen et Christophe Mantoux, à deux et quatre mains. De Bach à Tournemire, via Daquin, Mozart ou Elgar, et jusqu'à la Valse des Fleurs de Tchaïkovski et la Marche de Radetzky de Strauß père, tel un défi lancé à Vienne pour le lendemain…
www.saint-severin.com/plein-jeu/plein-jeu.html
 
(2) Orgue Cavaillé-Coll du Sacré-Cœur
www.sacre-coeur-montmartre.com/francais/histoire-et-visite/article/le-grand-orgue
orguesfrance.com/ParisSacreCoeur.html
 
(3) www.tombes-sepultures.com/crbst_1133.html
 
(4) Un superbe enregistrement Radio France figure au catalogue de la Collection Tempéraments (Une nuit de Noël, TEM 316005 + Daquin, Balbastre, Dandrieu, Lebègue), volume gravé en 1995 par Martin Gester à l'orgue Boizard, 1714, de Saint-Michel-en-Thiérache – où parmi les solistes du Parlement de Musique chante notamment Françoise Masset !
 
 (5) Titulaire de l'orgue Abbey de l'église Saint-Vincent-de-Paul de Clichy-la-Garenne, construit pour l'Exposition universelle de 1900, installé à Clichy en 1905.
orguesfrance.com/ClichyLaGarenneStVincent.html
 
 
Sites Internet :
 
France Musique – Veillée de Noël 2014 à Saint-Sulpice
www.francemusique.fr/agenda/veillee-de-noel-2014-en-l-eglise-saint-sulpice-paris
 
Daniel Roth
www.danielrothsaintsulpice.org
www.stsulpice.com
 
Chœur de Radio France
maisondelaradio.fr/concerts-classiques/le-choeur-de-radio-france
 
Sofi Jeannin (Maîtrise de Radio France)
maisondelaradio.fr/concerts-classiques/maitrise-de-radio-france
 
Ensemble Sagittarius – Michel Laplénie
www.sagittarius.fr
 
Françoise Masset
www.francoisemasset.com
 
Sacrées Musiques – France Musique
www.francemusique.fr/emission/sacrees-musiques
 
Baptiste-Florian Marle-Ouvrard
www.bfmo.fr
 
Association Aristide Cavaillé-Coll
www.cavaille-coll.fr
 
Photos DR