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Rencontre avec... Dominique Laulanné, directeur de la Maison de la musique de Nanterre - Guide d'écoute

Découvrir la musique contemporaine ne va pas de soi. Hors d'un public familier – mais limité en nombre – fidèle à tel ou tel ensemble spécialisé, la création musicale échappe à l'immense majorité de nos contemporains. Rendre visible et vivante la musique d'aujourd'hui, c'est l'une des missions que Dominique Laulanné tente d'accomplir avec une magnifique persévérance, année après année, à la Maison de la musique de Nanterre.
 
Dans un théâtre, dans tout lieu de culture, « il doit se passer des choses qu'on a envie de vivre », revendique Dominique Laulanné. Depuis son arrivée en 2008, il n'a de cesse de provoquer l'intérêt des Nanterriens pour la Maison de la musique, ce pas oblique du passant qui le ferait franchir le seuil. « Passez donc à la maison ! » clamaient il y a quelque temps les affiches bleues placardées bien visibles en façade et dans la ville. Pas si simple, quand beaucoup sont persuadés que tout cela n'est pas pour eux. Alors, si le public ne vient pas, peut-être faut-il venir à lui, lui donner au moins l'occasion d'entendre une autre musique.
Quand il lance les « concerts de palier » avec l'office HLM de la ville, Dominique Laulanné mise sur la découverte : pour ce public d'un jour, qui n'a jamais poussé la porte d'une salle de concert, « toute musique « classique » est extrêmement exotique » relève-t-il, « et abordée avec beaucoup moins de préjugés que par un public supposé plus averti ». Les noms et les époques ne font dès lors plus écran et quand un auditeur dit, après le concert, avoir aimé « la deuxième musique », qu'il s'agisse d'une pièce de Berio ou de Mozart, il n'y a certes pas identification d'une œuvre mais bel et bien une écoute attentive et sensible. La culture n'est plus dès lors un passeport élitiste mais une mise en relation, en intelligence des expériences de chacun.
 
Créer des liens, c'est le maître mot de Dominique Laulanné : mettre un territoire, un public – des individus – en présence de la musique et faire en sorte que cette musique puisse leur parler. « Ce que je fais, c'est une sorte de storytelling sur la musique. J'essaie de trouver des qualités pour relier les œuvres, les répertoires, les points d'accroche ». La musique contemporaine y a toute sa place parce qu'elle nous parle d'aujourd'hui. Mais pour Dominique Laulanné, elle ne saurait être coupée de l'histoire de la musique : « Toute création musicale est une musique actuelle, qu'elle soit d'hier ou d'aujourd'hui ».
 
Cela se traduit, dans la programmation par une volonté toujours renouvelée de mettre les musiques en perspective. Ce mois-ci, les 26 et 27 mars, la Maison de la musique accueille Chant d'hiver, une création musicale, scénique et visuelle du compositeur et metteur en scène Samuel Sighicelli qui trace un chemin entre l'errance romantique du Voyage d'hiver de Schubert et les interrogations de l'homme moderne face aux enjeux écologiques (le spectacle s'inspire également du voyage en Antarctique du glaciologue Claude Lorius). Dominique Laulanné partage avec Samuel Sighicelli la conception de la scène comme « lieu de partage de l'écoute ». La création n'est jamais un geste gratuit mais s'intègre dans un environnement – le concert, le spectacle parfois – qui lui donne un sens.
 
Les « Voyages de l'écoute » que la Maison de la musique coproduit avec l'ensemble TM+ de Laurent Cuniot, formation résidente depuis près de vingt ans, s'inscrivent dans la même démarche où chaque œuvre vient approfondir l'écoute de l'autre. Le concert du 13 mars explore lui aussi les errances, les vagabondages et le souffle du monde que les compositeurs ont mis en musique, de Schubert à aujourd'hui (avec une création de Florence Baschet).
 
La programmation à Nanterre n'exclut pas. Au contraire, elle intègre et n'hésite pas à puiser dans des genres trop souvent cloisonnés. Passé par les mondes du théâtre (Le Maillon à Strasbourg), de la danse (la compagnie DCA/Philippe Decouflé) et de la scène en général (Arcadi), Dominique Laulanné se refuse toujours à se poser en spécialiste de tel ou tel répertoire, car, pour lui, c'est par l'ouverture la plus large que le public pourra bâtir sa propre « autonomie de l'écoute ».
 
Jean-Guillaume Lebrun
 (Entretien réalisé le 25 février 2015)
 
Site de la maison de la musique de Nanterre : www.nanterre.fr/124-maison-de-la-musique.htm
 
 
Photo © Dominique Jassin
 

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