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« De Carmen à Mélisande » au Petit Palais – L’Opéra-Comique s’expose
L’Opéra-Comique a trois cents ans, trois siècles de comédie et de musique, de créations de chefs-œuvre lyriques qui constituent un patrimoine exceptionnel dans le cours de l’histoire de la musique en France. Né dans les foires parisiennes, d’origine populaire, modeste et urbaine, au contact des rumeurs de la ville, l’Opéra-Comique se définit dès le début comme une scène où la société française, la culture officielle et ses codes sont détournés sur le mode satirique. Fondée en décembre 1714, à la toute fin du règne de Louis XIV, cette vénérable maison est avec l’Opéra de Paris et la Comédie-Française l’une des plus anciennes institutions théâtrales françaises et l’une des plus originales par la singularité de son répertoire.
Une vitalité jamais démentie
Au fil du temps, s’est forgé en son sein un genre qui mêle musique et paroles, animé d’un esprit sensible au tableau de mœurs, toujours attentif aux nouveautés, aux sujets brûlants, aux faits divers ou aux romans à la mode. Habitée d’une vitalité qui ne s’est jamais démentie, la vocation de ce théâtre s’est manifestée dès sa création par une volonté de toucher un public large et diversifié, en produisant et en diffusant des ouvrages lyriques et des spectacles qui valorisent la multiplicité des expressions artistiques.
Ce lieu unique a toujours été un laboratoire d’expérimentation qui a accueilli les compositeurs et les librettistes venus de tous les horizons et a su donner leur chance aux jeunes talents prometteurs. Les futures divas ont souvent connu leurs premiers succès au Comique. Sous la IIIème République, l’Opéra-Comique est considéré comme l’une des scènes majeures de la capitale par un renouveau exemplaire auquel participent musiciens et écrivains, ainsi que tous les métiers liés au théâtre. Les choix artistiques poursuivent aujourd’hui l’orientation qui a dessiné une identité à nulle autre pareille qui allie liberté et inventivité. La programmation actuelle propose un large éventail d’œuvres, depuis l’opéra baroque à la création contemporaine, en passant par un répertoire souvent méconnu, propre au patrimoine que la maison veut valoriser. Le Pré aux Clercs d'Hérold en est un exemple récent.
Paul Thiriat, Incendie de l'Opéra-Comique © Musée Carnavalet/ Roger-Viollet
Une histoire agitée
Des coups du sort ont brisé la vie de la salle Favart qui a souffert de plusieurs incendies dramatiques, en particulier le 25 mai 1887 pendant une représentation de Mignon d’Ambroise Thomas, un incendie se déclare dans les coulisses. On dénombrera de nombreux morts et blessés. L’anéantissement de l’édifice obligera la troupe à se produire pendant neuf ans dans l’ancien Théâtre-Lyrique reconstruit, place du Châtelet. L’exposition présente de nombreux documents photographiques et tableaux du désastre ainsi que la maquette du projet de Louis Bernier en vue du nouveau théâtre.
Le choix thématique de l’exposition s’est porté sur le tournant du siècle, lorsque la troisième salle Favart est inaugurée (le 7 décembre 1898), précisément au moment où commencent les travaux du Petit Palais qui devait être prêt pour l’Exposition Universelle de 1900. Les deux bâtiments se partagent des équipes artistiques qui rivalisent d’innovations pour offrir au répertoire de l’un comme aux collections de l’autre le cadre précieux d’une architecture raffinée et chaleureuse.
Leonetto Cappiello, Une répétition à l'Opéra-Comique, M. Puccini, M. Victorien Sardou, M. Ricordi, M. Albert Carré, M. Paul Ferrier, M. André Messager © Bnf
Une période de grâce
« Le fil conducteur, fruit d’une décision collective, s’est donné la Belle Epoque comme axe dans l’écrin du Petit Palais. Ainsi les patrimoines contemporains se font écho dans une dynamique créative, de même qu’une alchimie s’est instaurée entre le style de la salle Favart et son territoire musical », confie Cécile Reynaud, conservateur en chef au département de la Musique de la BnF et co-commissaire de l’exposition. Ce projet, pour lequel Jérôme Deschamps s’est battu avec acharnement, a rencontré l’enthousiasme de Christophe Leribault, directeur du Petit Palais et amateur d’opéra qui a accepté d’ouvrir les espaces de son beau musée aux richesses qui évoquent des années particulièrement fécondes de l’aventure passionnante du Comique.
« L’Opéra-Comique a connu des périodes fastes pendant les trois cents ans de son existence, mais entre 1875 et 1902, il semble vivre une période de grâce qui va de la création de Carmen à celle de Pelléas et Mélisande. La concentration des chefs-d’œuvre produits durant ce quart de siècle nous paraît exceptionnelle tant ils fournissent aujourd’hui en ouvrages français les programmes lyriques du monde entier : Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, Carmen de Bizet, Manon de Massenet, Pelléas et Mélisande de Debussy, Lakmé de Delibes, Le Roi d’Ys de Lalo, Le Roi malgré lui de Chabrier et Cendrillon de Massenet. Nous avons voulu mettre en scène ces ouvrages qui ont marqué un moment de bascule dans l’évolution générale du théâtre lyrique », explique Agnès Terrier, dramaturge à l’Opéra-Comique et co-commissaire de l’exposition.
Le cœur battant de la modernité
« Un couple improbable formé de deux figures féminines marque le début et la fin de l’exposition. Carmen, femme fatale d’un opéra tourné résolument vers une thématique inédite, une tragédie sanglante en rupture totale avec la tradition, le premier grand scandale du répertoire lyrique dont le sujet tiré de Mérimée a été imposé par Bizet, mort avant même de connaître le succès. Mélisande, héroïne énigmatique de l’ouvrage de Debussy, une œuvre sans précédent dans l’histoire de l’art lyrique, le premier opéra contemporain. Debussy l’a composé sans livret préalable, directement sur le texte de Maeterlinck, une innovation incroyable ! Avec le sous-titre Drames à l’Opéra-Comique, nous avons voulu lancer un petit clin d’œil en direction du public en référence au théâtre et à ses intrigues », précise Cécile Reynaud.
Le parcours retenu s’attache à redonner vie aux créations les plus importantes, certaines très connues, d’autres à découvrir : de la terre des passions espagnoles de Carmen à l’univers enchanté et diabolique des Contes d’Hoffmann, du goût orientaliste de l’époque coloniale de Lakmé, à la Manon de Massenet et ses couleurs ravivées d’un Ancien Régime néo-XVIIIème siècle. Si des titres comme Louise de Gustave Charpentier et enfin Pelléas ont écarté d’autres créations aujourd’hui totalement tombées dans l’oubli, ils sont les signes manifestes que l’Opéra-Comique était alors le cœur battant de la modernité, au carrefour des arts en mouvement et des esthétiques vivifiantes, entre autres du naturalisme et du symbolisme.
Marianne Stokes, Mélisande © Rheinisches Bildarchiv Köln, Meier, Wolfgang F.
Des documents exceptionnels
La Bibliothèque nationale de France a fourni la plus grande partie des documents présentés dans les vitrines et sur les cimaises du Petit Palais. Cécile Reynaud dévoile les merveilles conservées au Département de la musique de la BnF : « Nous présentons des manuscrits autographes des compositeurs : le finale de l’acte II de Carmen avec des corrections de Bizet, la copie de travail de la partition des Contes d’Hoffmann, puisque l’originale a brûlé, le manuscrit autographe de Manon ouvert à la page de l’air célèbre Adieu, notre petite table, la partition du Rêve d’Alfred Bruneau, les manuscrits et dossiers préparatoires et des lettres de Zola à Bruneau ainsi que le livret manuscrit original de Louis Gallet avec des ajouts de Zola, des pages inédites de Louise, le manuscrit de Pelléas montre le passage de la scène de la fontaine de l’acte I. Des photos de musiciens, d’artistes dont la photo de Mary Garden en Mélisande, des tableaux parmi lesquels le superbe portrait de Célestine Galli-Marié, créatrice du rôle de Carmen par Lucien Doucet ou l’œuvre de Marianne Stokes venue de Cologne qui représente une Mélisande hautement poétique, des affiches remarquables, en particulier celle de Louise par Georges Rochegrosse, tous ces trésors proviennent des archives de l’Opéra-Comique déposées à la bibliothèque-musée de l’Opéra, des prêts du musée Carnavalet, du musée d’Orsay ou de collections particulières ».
Studio Reutlinger, Mlle Garden dans Pelléas et Mélisande, 1902 © BnF
Une scénographie astucieuse entraîne le visiteur dans le monde enchanté de l’opéra et dévoile les coulisses de l’inventivité scénique et plastique des spectacles : cage de scène, maquettes de décors, dessins de costumes ou costumes provenant du Centre national du costume de scène de Moulins. On peut, par exemple, admirer la robe de Mélisande portée par Irène Joachim en 1952. L’illusion est totale !
Une exposition porteuse de rêves pour les nombreux amateurs d’opéra. A découvrir jusqu’au 28 juin.
Marguerite Haladjian
« De Carmen à Mélisande ; drames à l’Opéra-Comique »
Jusqu’au 28 juin 2015
Paris - musée du Petit Palais
Du mardi au dimanche de 10h à 18h ; nocturne le vendredi jusqu’à 21h.
www.petitpalais.paris.fr/fr/expositions/de-carmen-a-melisande-drames-a-lopera-comique
(Catalogue sous la direction de Cécile Reynaud et Agnès Terrier, 154 pages, 35 €)
Photo de titre : Lucien Doucet, Portrait de Galli Marié dans "Carmen", 1884 © BnF
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