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Roméo et Juliette par les Ballets de Monte Carlo à Versailles - Le triomphe de la danse - Compte-rendu
Ils sont morts dans le décor le plus inouï qui soit, ces Jardins de l’Orangerie, enchâssés entre les monumentaux escaliers conduisant au corps du Château du Roi-Soleil, avec des jeux de nuages d’encre et de lueurs de couchant rosé. Pour fond, juste des panneaux blancs coulissants: chic, sobre, efficace et ne portant pas atteinte à la splendeur du lieu. Eux, c’était le couple mythique shakespearien, ce Roméo et Juliette signé Jean-Christophe Maillot avec lesquels les Ballets de Monte Carlo découvraient la nuit versaillaise. Courageusement, car si le ciel fut beau, le temps fut glacial et les danseurs durent danser sur une scène humide, donc dangereuse.
Poubelles de l’histoire, car ce qu’il faut retenir de cette soirée c’est, encore affûtée par une remise en scène qui date de quelques mois, ce ballet toujours neuf, toujours vif, toujours éloquent grâce à la limpidité de style de Jean-Christophe Maillot, son art de la pointe, sa nervosité qui va si bien à cet univers juvénile, brisé par l’horrible drame.
Repris à Monaco ce printemps (1), le ballet, daté de 1996, a gagné en assurance et en découpe dramatique : les idées claquent avec une force provocante, notamment lorsqu’elles sont portées par la silhouette fatale et affûtée de lady Capulet, aux longues et cruelles pointes d’acier, en l’occurrence celles de Mimoza Koike. Admirable aussi la scène de rixe où Tybalt (Gabriele Corrado), tue Mercutio (superbe George Oliveira) avant d’être tué par Roméo.
Cette version de Roméo et Juliette, histoire tant de fois portée à la scène, s’inscrit assurément dans le peloton de tête, avant celle de Cranko, un peu démodée, très loin devant celles de Noureev et Grigorovitch, lourdes et de mauvais goût, et encore plus loin devant celle de Sasha Waltz, insipide. Elle touche autant que celles de Mats Ek, récemment découverte à l’Opéra, ou de Thierry Malandain, qui lui, a utilisé la partition de Berlioz, comme Béjart, ce qui crée d’emblée un climat plus romantique.
On avait en avril apprécié la grâce touchante des interprètes alors mis en scène par Maillot, qui donnaient un ton nouveau au ballet, marqué initialement par la personnalité androgyne et dévoreuse de Bernice Coppieters, créatrice du rôle de Juliette, écrit pour elle, on découvre aujourd’hui une autre facette du couple, avec la piquante Noelani Pantastico et le romantique Lucien Postlewaite : ce duo tout à fait en phase, apporte même un lyrisme supplémentaire aux portés, que Maillot n’y a pas toujours mis, car chose étrange, et à approfondir, il use peu de cette tonalité. Peur de s’alanguir sans doute. En revanche, la musique de Prokofiev va idéalement à son talent de vif argent, comme allaient bien à sa Mégère apprivoisée, créée l’an passé à Moscou, les pièces de Chostakovitch rassemblées avec clairvoyance.
Car Maillot est un vrai musicien, et son choix des versions (puisqu’il s’agit de musique enregistrée) exalte sa chorégraphie. Celle choisie ici, signée Valery Gergiev, épouse à merveille la violence du propos et sa dynamique dévastatrice : il y a gardé les tempi de Prokofiev, souvent amollis pour les besoins de la danse. Ici, pas de pitié! Avancera-t-on aussi l’idée que, depuis que le chorégraphe a travaillé avec les monstres sacrés du Bolchoï et que ses danseurs monégasques ont pu les admirer à Noël lors de la venue des Russes sur le Rocher, ils semblent mettre plus de pugnacité dans leurs rôles. A coup sûr une compagnie engagée, aux lignes remarquables, un maître d’œuvre flamboyant et un public ravi, bien que gelé.
Jacqueline Thuilleux
(1) Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/romeo-et-juliette-de-jean-christophe-maillot-par-les-ballets-de-monte-carlo-livresse-de-la
Roméo et Juliette (mus. S. Prokofiev, chor. J.-C. Maillot) - Versailles, Jardins de l’Orangerie, 23 juin 2015
Pour découvrir la version originale avec Bernice Coppieters, Roméo et Juliette, un DVD produit par les Ballets de Monte Carlo, 2002
Photo © Alice Blangero
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