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Le festival Musica de Strasbourg - Questions de formes - Compte-rendu

À travers la très riche programmation de son week-end d’ouverture, le festival Musica soulève la question de la forme musicale – forme de l’œuvre aussi bien que forme du concert. Une question essentielle qui anime la réflexion des acteurs de la création musicale contemporaine.
Ce jeu sur la forme, c’est celui auquel s’est livré, par exemple, le compositeur autrichien Johannes Maria Staud (né en 1974) (1) dans Auf die Stimme der weissen Kreide (Specter I-III) : trois mouvements au profil similaire, comme trois esquisses d’une même évocation. Mais, de mouvement en mouvement, l’œuvre se fait plus complexe, tout en prenant des formes reconnaissables (tel ce rythme de marche du deuxième mouvement), et s’appuie sur une grande maîtrise de l’orchestration : l’œuvre est explicitement écrite pour les musiciens de l’Ensemble Modern dont le compositeur a pu de longtemps éprouver la virtuosité.

Au même programme figurait Arkham, œuvre pour ensemble d’une quarantaine de minutes pour laquelle Yann Robin (photo), né en 1974 lui aussi, s’inspire de l’imaginaire de l’écrivain américain H.P. Lovecraft : elle évoque ainsi les soubassements du monde, d’où surgissent monstres et peurs refoulées. Le traitement de l’orchestre par Yann Robin est toujours intéressant, mais son obsession d’un espace sonore saturé, la densité de l’écriture enferme ses œuvres dans une fuite en avant rythmée de coups d’éclat – une musique qui devient, nécessairement, narrative et figurative. Cette musique massive, à l’écriture pourtant très travaillée, finit pas ne plus offrir de véritable relief, malgré des moments de mise en tension incontestablement réussis.

 La veille, lors du concert d’ouverture, était donnée Inferno, dans une nouvelle version, raccourcie d’un quart d’heure, après celle créée en 2012. Même constat qu’il y a trois ans : cette musique éruptive produit toujours un effet de saisissement. Cette fois, l’œuvre était associée à la projection d’une vidéo de Frantisek Zvardon, images qui plongent l’auditeur-spectateur au cœur d’une aciérie vieille de plus d’un siècle et demi. Certes, le projet révèle un travail minutieux de mise en résonance de ces images emplies de feu et de métal en fusion avec la musique de Yann Robin, mais le résultat est plutôt redondant. L’image impose peu à peu sa propre lecture de la musique et, finalement, l’une et l’autre soulignent réciproquement leur naïveté.
 
Si la musique de Yann Robin se tient toujours dans un registre de plénitude sonore, couvrant toute l’étendue du spectre sonore (avec cependant une prédilection pour l’extrême grave, qui correspond bien à l’aspect « infernal » de son inspiration extra-musicale), les deux autres œuvres au programme du concert d’ouverture jouent quant à elle avec la ténuité, voire le silence. Kontrakadenz (1971) d’Helmut Lachenmann (né en 1935) a certes un peu vieilli dans son aspect théâtral (l’emploi de sons concrets : coup de revolver ou fragments radiophoniques), mais elle demeure en revanche vertigineuse par son usage du silence. Un vertige que l’on ressent bien moins dans ibant oscuri, en création française, de Hanspeter Kyburz (né en 1960), d’une écriture raffinée mais dont les contrastes sont plus ceux d’un esthète que d’un imprécateur.
Ce concert, dirigé par Pascal Rophé, a une fois de plus montré quel outil extraordinaire est l’Orchestre symphonique de la Radio de Baden-Baden et Fribourg pour la musique de son temps. On sait, hélas, que cette histoire musicale hors pair de soixante-dix ans prendra fin l’an prochain, quand l’orchestre fusionnera avec celui de la Radio de Stuttgart. L’avenir de la création musicale pour orchestre s’en trouvera probablement changée. Car, comme nous le rappelle Musica, c’est par ses interprètes que la musique vit et se crée.
 
Le récital donné par Pierre-Laurent Aimard le dimanche matin dans la salle de la Bourse est un condensé d’intelligence interprétative : deux séries de miniatures qui portent en elles tous les possibles de la musique (Notations de Pierre Boulez et Musica Ricercata de György Ligeti) puis deux sonates (la Première de Boulez, dont le pianiste célèbre ainsi les quatre-vingt-dix ans, et l’Appassionata de Beethoven). Pierre-Laurent Aimard, en mettant l’accent sur les contrastes (mais avec une parfaite fluidité du discours, une hauteur de vue stupéfiante), relie, à un siècle et demi d’écart, le génie de créateurs pour qui la musique est une affaire d’art autant que de recherche. Et c’est bien cela que revendique Musica.
 
Jean-Guillaume Lebrun

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  1. Lire le portrait du compositeur (2010) : http://www.concertclassic.com/article/rencontre-avec-johannes-maria-staud-comment-la-musique-vient-naitre

 
Strasbourg, Festival Musica, 18, 19 et 20 septembre 2015. www.festivalmusica.org
 
Photo : Yann Robin, avec Pierre Boulez  © Jean Radel

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