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Dialogues des Carmélites à l’Opéra d’Amsterdam - Essentiel - Compte-rendu
« Il est impossible que cette mise en scène ne soit pas maintenue », clame de sa voix profonde la grande Doris Soffel, qui incarne de façon à glacer le sang la Première Prieure, Madame de Croissy et ses affres face à la mort, dans ce spectacle en tous points parfait que remonte aujourd’hui l’Opéra d’Amsterdam, où il fut créé, et dont on ne sait s’il ne va pas tomber dans les oubliettes, tant est vif le besoin de changement dans les grandes maisons d’opéra. Certes la mise en scène de Robert Carsen date de plusieurs années, mais aussi lisse que le couperet de la guillotine, elle n’a pas pris une ride, une faiblesse. Il est vrai que sa simplicité, l’utilisation de registres admirablement dessinés dans les ensembles de personnages, la finesse sobre et inspirée des rapports humains permet à cette terrible ascension d’atteindre à la grâce qui irradie le texte de Bernanos.
Tout est ici sombre comme une robe de moine, ou de nonne, avec quelques oppositions frappantes entre le blanc et le noir, et des murs gris, auxquels seuls les élans des âmes insufflent quelque couleur, à l’exception des pourpoints chamarrés du Marquis de la Force et de son fils, le Chevalier. Leur gaité forcée ne donne que plus de sens à la terreur rampante qui inonde la Première Prieure sur son lit de mort, jusqu’à l’horreur de la marche à l’échafaud.
Stéphane Denève © Drew Farrel
On est saisi par la force, la véhémence et la conviction de la baguette de Stéphane Denève. Sa compréhension de l’œuvre démontre qu’il l’épouse entièrement, avec ses retours à Monteverdi et Moussorgski, son langage presque verdien, qui coule souplement, et ses plongées en apnée dans le mystère de la foi qui transcende l’œuvre et se fait entendre un bref instant, après la dernière exécution, dans le soupir poussé par le chœur.
Il a la chance de jongler avec un orchestre d’une superbe richesse, et avec le fabuleux ensemble de voix féminines réunies sur le plateau, du délicieux soprano léger de Sabine Devieilhe, petite fée de ce monde sans pitié, au beau soprano lyrique de Sally Matthews, en Blanche, dont seule la diction vraiment imparfaite porte ombre au doré du timbre et à la qualité subtile de l’expression. Belle incarnation de Madame Lidoine, Adrianne Pieczonka, au riche soprano dramatique, graves dévorants, à la limite du contralto pour Doris Soffel, Madame de Croissy, dont la mort est un exemple majeur d’intelligence scénique. Sans parler du Chevalier intensément émouvant de Stanislas de Barbeyrac, déchirant d’humaine tendresse et de l’intense Marquis incarné par Jean-François Lapointe.
Transfert, thème majeur de Bernanos, de la terreur d’une âme sur une autre, transfert de la force de la parole dans celle de la musique, peur incoercible du néant, terreur grasse infligée par la barbarie des hommes, Carsen se joue de toutes ces embûches d’une extrême difficulté avec la quasi-humilité qui convient à Poulenc, cet homme à la foi si douloureuse et complexe.
C’est là une de ses plus belles réussites.
Jacqueline Thuilleux
Poulenc : Les Dialogues des Carmélites – Amsterdam, Opéra, le 7 novembre, prochaines représentations les 17, 19, 22, 24, 26 & 29 novembre 2015.
www.operaballet.nl
Photo © Hans van den Bogaard
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