Journal
Gruppen à la Philharmonie - L’événement Stockhausen - Compte-rendu
Certains concerts, parce qu’ils affichent une œuvre hors normes, sont entourés d’une atmosphère particulière. C’est le cas ce samedi soir à la Philharmonie, pour le concert-phare d’un beau week-end consacré à la musique de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) qui aura également permis d’entendre la totalité des Klavierstücke.
Dans le hall, avant le concert, puis dans la salle comble, l’excitation est celle des grands événements. Or l’interprétation de Gruppen en est un. L’œuvre, écrite pour trois orchestres, est l’une des premières grandes réponses des jeunes compositeurs actifs au lendemain de la Second Guerre mondiale à la question de la spatialisation – et en même temps une remise en cause radicale de la forme du concert, attaqué ici par la disposition de l’orchestre. Mais, comme on le sait, les intuitions de Stockhausen et quelques autres n’ont pas bouleversé le paysage de la diffusion musicale et les lieux susceptibles d’accueillir une œuvre comme Gruppen restent rares. La Cité de la musique est l’un d’entre eux et programme l’œuvre pour la deuxième fois en une vingtaine d’années.
En 1998, Pierre Boulez, Peter Eötvös et David Robertson se partageaient la direction des trois orchestres, composés déjà de musiciens de l’Ensemble intercontemporain et de l’Orchestre du Conservatoire de Paris. Pour cette reprise, l’Ensemble intercontemporain, où jouent encore une dizaine de musiciens présents en 1998, et l’Orchestre du Conservatoire, évidemment totalement renouvelé depuis, sont répartis en trois orchestres dirigés par Matthias Pintscher (photo), actuel directeur musical de l’EIC, Bruno Mantovani, compositeur et directeur du Conservatoire, et Paul Fitzsimon, le benjamin des trois, né en 1982 en Australie.
Ce qui frappe d’emblée, c’est l’aisance de l’exécution, la parfaite fluidité entre les trois orchestres. À la tête de l’ « orchestre II », placé au centre, Matthias Pintscher donne le ton d’une interprétation riche en nuances, bien loin de la raideur (enthousiaste certes) que l’on y trouvait à la création (un enregistrement avec Stockhausen lui-même, Pierre Boulez et Bruno Maderna en témoigne) et même, quoique bien atténuée déjà, en 1998. Le langage musical de l’avant-garde de la deuxième moitié du 20e siècle – dont le dernier grand représentant a disparu récemment avec Pierre Boulez – est maintenant pleinement intégré à la pratique des jeunes musiciens, comme à l’univers musical des mélomanes.
En première partie, Matthias Pintscher dirigeait …towards a pure land, fresque musicale d’allure plutôt contemplative de Jonathan Harvey (1939-2012), nourrie de façon très personnelle de toutes les recherches musicales du siècle passé. Avec Odile Auboin, altiste de l’EIC en soliste, il interprétait aussi Antiphonen de Bernd Alois Zimmermann (1918-1970). Moins spectaculaire que le démesuré Requiem pour un jeune poète, donné l’an dernier dans la grande salle de la Philharmonie, ou que l’opéra Les Soldats, cette œuvre pour alto et petit ensemble instrumental disposé symétriquement est un vrai chef-d’œuvre qui joue sur la profondeur de l’espace sonore. Obtenant des musiciens – toujours un mélange de ceux de l’EIC et d’étudiants du Conservatoire – une interprétation parfaitement nuancée, Matthias Pintscher souligne la parenté de réflexion – sinon de style – des compositeurs de l’époque. Cinquante ans après, la musique de Stockhausen comme celle de Zimmermann nous emmène toujours vers des mondes sonores inouïs.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Philharmonie 1, 30 janvier 2016
Photo Mathias Pintscher © Aymeric Warmé-Janville 2013
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