Comme tous les ans, le concert des Révélations classiques de l’Adami aux Bouffes du Nord est l’occasion de braquer le projecteur sur quatre chanteurs et quatre instrumentistes sélectionnés par les soins de Sonia Nigoghossian et Françoise Petro. Et une fois de plus la soirée, mise en espace cette année par François Dunoyer, rime avec diversité (le vocal et l’instrumental alternent en permanence) en mêlant des Révélations de 2014 et 2015 et en présentant même déjà l’une de voix qui figurera parmi les Révélations 2016 : le baryton Jérôme Boutillier.
Il lui revient d’ouvrir le programme sur un mode intimiste avec Liebesbotschaft de Schubert, que le chanteur interprète en s’accompagnant - excellemment - au piano (pour le reste de la partie vocale de la soirée, c’est Emmanuel Normand qui s’acquitte, avec la complicité qu’on lui connaît, de cette tâche). Par la suite les airs « O vin dissipe la tristesse » (Hamlet/Thomas) et « Ha gia vinta la causa » (Nozze di Figaro) viennent souligner la qualité de timbre et la présence scénique de l’artiste, avant qu’il ne se lance dans un épatant duo « Pronta son » (Don Pasquale) avec la soprano Pauline Texier.
Côtés voix masculines, Enguerrand de Hys fait pour sa part entendre un instrument qui a gagné en richesse et en souplesse. On apprécie autant l’expression très vécue que le ténor apporte à l’air « Vainement Pharaon » (Joseph/ Méhul) que le chic et le charme du duo « Ce n’est qu’un rêve » (La Belle Hélène) partagé avec la mezzo Catherine Trottmann. Le timbre magnifique, la diction impeccable et le sens de la scène de cette dernière, qui a été pendant une saison (2014-2015) membre de la troupe du Wiener Staatsoper, ne séduisent pas moins dans « « Nobles seigneurs salut » (Les Huguenots/Meyerbeer) ou dans le « Batti batti, o bel Masetto » de Zerlina, rôle qui tend les bras à la jeune artiste.
Tout comme l’opéra romantique italien à Pauline Texier. Outre son duo donizettien avec J. Boutillier, celle qui est entrée à l’Académie de l’Opéra de Paris à la rentrée passée, interprète un « O luce di quest’anima » (Linda da Chamounix/Donizetti) de toute beauté, mais n’enthousiasme pas moins dans « Je romps la chaîne » (L’Amant jaloux/ Grétry) où son intonation parfaite, son piquant et son élégance charment immanquablement.
 

De g. à dr : Aurélien Pascal, Lomic Lamouroux, Catherine Trottmann, Pauline Texier, Eloïse Bella Kohn, Hildegarde Fesneau, Emmanuel Normand, Enguerrand de Hys, Jérôme Boutillier © Adami
 
Côté instrumental, Eloïse Bella Kohn livre une Sonate n° 3 de Prokofiev très dominée (avec Allegro tempesto final remarquable d’aplomb et de pugnacité rythmique). La pianiste prête par ailleurs son concours aux trois autres instrumentistes présents, la violoniste Hildegarde Fesneau, qui allie la pureté de l’émission (Méditation de Thaïs) à l’énergie et la luminosité du jeu (Prélude et Allegro de Kreisler), le violoncelliste Aurélien Pascal, qui enlève l’Introduction et Polonaise avec un impeccable sens du style brillant. Egalement au rendez-vous le bassoniste Lomic Lamouroux, comme cela avait déjà été le cas à Prades en 2014, surprend des auditeurs souvent peu habitués à entendre le basson en soliste et les captive par la variété de son expression dans la Sonatine op. 70 de Tanssman ou le mystérieux Nocturne de la non moins rare Sonate op. 71 de Koechlin. Que de richesses sur le continent trop peu exploré de la musique pour vents ...
 
Fuga y misterioso de Piazzolla (adapté pour violon, violoncelle, basson et piano) et un arrangement pour quatre voix de l’hymne au champagne de la Chauve-Souris referment en beauté une soirée qui n’aura cessé de conjuguer plaisir musical et variété des répertoires. Rendez-vous le 3 août prochain au Festival de Prades pour le concert des Révélations Adami 2016 !
 
Alain Cochard

Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 8 février 2016
 
Photo ( de g à dr. : Aurélien Pascal, Carherine Trottmann, Jérôme Boutillier, Pauline Texier, Enguerrand de Hys) © Adami