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La Défense d’aimer au Teatro Real de Madrid – Un divertissement de haute volée - Compte-rendu
L’Opéra de Madrid, le Teatro Real, a la bonne idée de ressortir Das Liebesverbot (La Défense d’aimer), d’un Wagner de 23 ans que le Wagner ultérieur avait maintenu dans l’ombre. Petit événement qui réunit la presse internationale accourue dans la capitale espagnole pour cette rareté. Il est vrai que la production, coproduite par le Covent Garden de Londres et le Teatro Colón de Buenos Aires où elle sera reprise à la suite, méritait bien le voyage.
Rejeté par Wagner, puis proscrit de Bayreuth, ce Grosse komische Oper connaît ces dernières années un retour sur les scènes (1). Retour favorisé par le mouvement actuel pour les pages de jeunesse de musiciens célèbres, mais qui se justifie en l’espèce pour l’œuvre elle-même. Sur un livret du compositeur inspiré de Mesure pour Mesure de Shakespeare (dramaturge dont s’était déjà entiché l’adolescent Wagner), cet opéra-comique adopte un ton de comédie où le drame n’est qu’est effleuré, pour narrer les mésaventures des diktats d’un gouverneur prohibant dans sa ville de Palerme les fêtes et l’amour hors mariage. Avec une issue heureuse, comme il se doit, et la liberté (des mœurs) retrouvée. Sujet piquant, sur fond de musique qui l’est tout autant, dans une manière imitée d’Auber et, surtout, de Donizetti.
Alors Wagner avant Wagner ? Pas tant que cela ! Puisque transparaissent des traits qui annoncent la maturité : certains arias prémonitoires des grandes scènes de Brünnhilde ou de Hans Sachs, quelques tournures mélodiques, un goût de la démesure (plus de quatre heures de représentation !), même de premiers leitmotive (invention qui ne revient pas à Wagner, mais dont il fera son système) et certaine thématique sous-jacente (la rédemption). Soutenus par de jolis ensembles bien balancés, du côté des chœurs particulièrement, et une musique entraînante, au prix parfois de redites et longueurs (que l’on rencontrerait aussi, cela dit, dans les opéras et drames ultérieurs). Une œuvre en soi, attachante en dehors de toute référence, et qui autorise à transgresser la défense de connaître et d’aimer les pièces antérieures au Vaisseau fantôme (tardivement accepté pour sa part à Bayreuth). En 1836, Wagner qui n’en était pas à son premier essai lyrique après Les Noces, resté inachevé, et Les Fées, montrait certaines dispositions naturelles.
Au Teatro Real, toutefois, l’ouvrage tient en deux heures trente. Passent ainsi à la trappe divers passages et des aspects caractéristiques, comme les dialogues parlés, inhérents à tout opéra-comique ou Singspiel. Ce que l’on peut regretter, si ce n’est pour la patience des auditeurs. Mais il s’agit d’un spectacle, lié à une forme de cohérence. Et ici, le défi est pleinement assumé. Ivor Bolton, qui a révisé la partition en conséquence, se retrouve en parfait accord avec Kasper Holten qui en traduit scéniquement le propos. Avec verve et talent.
© Javier del Real / Teatro Real
L’action est transposée à notre époque, et la Sicile du côté de Londres (Shakespeare oblige), avec des bobbies casqués en place des gardiens de l’ordre instauré par ledit gouverneur. Ce qui offre à maintenir le message de puritanisme sans le forcer – et à éviter le piège d’une dénonciation de l’intolérance à l’appui de stéréotypes pesants et autres nazis mille fois vus. Bien vu ! L’espace, lui, se divise en grandes architectures d’alcôves distribuées en hauteur et en escaliers, à la façon des Prisons de Piranèse, pour enserrer la succession des scènes, et au sol des tapis roulants faisant défiler des praticables en situation. Mais dans la joie, sous des couleurs et lumières scintillantes. Une joie qui parcourt tout le plateau, animé de personnages bariolés et groupes virevoltants, dans une drôlerie caricaturale de chaque instant. Un divertissement de haute volée, entre farce et carnaval (à l’instar de celui qui clôt le livret), bien dans l’esprit allègre et sautillant de la pièce.
Le chœur titulaire du Teatro Real s’acquitte parfaitement de sa tâche complexe, entre ses mouvements incessants et ses fréquentes interventions vocales. En phase avec l’orchestre, porté par la battue vive de Bolton. Le plateau s’affirme pareillement adapté, à des nuances près. Manuela Uhl jette de beaux éclats pour Isabella, dans un chant wagnérien avant l’heure nanti de quelques justesses approximatives. Et ainsi de sa comparse du moment, María Miró, Mariana un peu appuyée. Alors que Christopher Maltman délivre Friedrich, le gouverneur-tyran en question, d’une voix pleine. Peter Lodahl et Ilker Arcayürek dispensent pour leur part des Luzio et Chaudio mieux circonstanciés, avec une projection de ténors légers tout à fait dans le style d’époque et de l’œuvre. De même que Ante Jerkunica, pour un Brighella de frais baryton lyrique. Ou María Hinojosa pour une Dorella quasi mozartienne. Puisque vocalement, il a été choisi d’être à la croisée des chemins. Comme l’œuvre d’une certaine manière.
Pierre-René Serna
(1) Ainsi, prochainement à l’Opéra du Rhin, du 8 mai au 5 juin / www.operanationaldurhin.eu/opera-2015-2016--das-liebesverbot.html
Wagner : Das Liebesverbot – Teatro Real, Madrid, 19 février ; prochaines représentations : 22, 25, 27, 28 février, 1er, 3, 4 et 5 mars 2016 / www.teatro-real.com/es
Photos © Javier del Real / Teatro Real
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