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Le Roi d’Ys de Lalo à l’Opéra de Saint-Etienne - Une belle aventure – Compte-rendu

Régal méconnu que ce Roi d’Ys de Lalo, au charme moins lyrique que celui de Gounod, moins piquant que Bizet, moins glamoureux que Massenet, mais aux accents mélodiques et dynamiques envoûtants. Un ton bien à part, d’un dramatisme brûlant et tendu, qui évite la boursouflure et ne garde que les flammes d’un post-romantisme encore vibrant. S’y retrouvent le goût du fantastique, plus léger en France qu’outre-Rhin, le retour à l’héritage traditionnel folklorique, une sorte d’exotisme français également présent chez Bizet et un peu plus tard chez D’Indy, et bien sûr le retour à quelques mythes païens, dûment réveillés par Wagner, dont l’ombre plane sur une œuvre au sujet de genre héroïque, et surtout sur sa noire héroïne, Margared, petite sœur de la maléfique Ortrud de Lohengrin avant de sombrer dans les flots en un saut sacrificiel comme la Senta du Vaisseau Fantôme. Avec partout le bruit puissant de l’eau furieuse, aussi romantique que le galop des chevaux fuyant les marées montantes !
 
 On s’est donc réjoui de retrouver à l’Opéra de Saint-Etienne cette production de Jean-Louis Pichon, qui y fut créée avec grand succès et retrouve les planches avec une escouade de jeunes chanteurs. Rares sont les représentations de ce modeste chef-d’œuvre, pour lequel Lalo déclara avoir fait « un simple opéra… sans pasticher les devanciers » et qui ne prétendait nullement aux colossales ambitions des drames wagnériens devant lesquels il s’inclinait, chapeau bien bas. Conçu en 1875, s’envolant à partir de 1888, sur la scène de l’Opéra-Comique, Le Roi d’Ys continua une trajectoire glorieuse avant de disparaître des scènes françaises après la Deuxième Guerre mondiale, tandis que l’étranger lui faisait plus d’honneur.
 
Moins fastueuse que celle de Nicolas Joël au Capitole en 2007, laquelle bénéficiait, il est vrai, des décors et costumes du spectaculaire tandem Frigerio-Squarciapino, la mise en scène de Pichon donne une vision claire et bien structurée des strates d’un drame très visuel, aux effets habilement amenés, ici rehaussés par les couleurs tranchées et l’opulence des costumes du regretté Frédéric Pineau. On regrette simplement le statisme scénique des chœurs, par ailleurs excellemment mis en place par Laurent Touche.
 

© Cyrille Chauvet
 
Pour l’interprétation, quelques réserves sont à émettre, malheureusement et ce malgré l’engagement de l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, dont on sait qu’on peut tirer le meilleur quand il est caressé amoureusement : d’abord en ce qui concerne le chef, José Luis Dominguez Mondragón, qui sait fort bien animer les scènes de violence, mais refuse le contrepoint essentiel de la douceur, de la grâce, bref de la respiration qui permet à l’œuvre de trouver son rythme, entre folie meurtrière et joliesse touchante de l’air de Mylio, par exemple. Là aussi, une déception de taille, et combien regrettée, car Sébastien Guèze, jeune ténor sur lequel on fait plus que de fonder des espoirs tant sa carrière est brillante, est ici mal à l’aise, engoncé dans une tenue où il paraît plus gentil scout que vaillant soldat et surtout la voix presqu’enrouée, un peu métallique, là où il ne devrait être que velours. Le rôle, on le sait, est redoutable !
 
On aurait aussi aimé un peu plus de souplesse dans les attitudes tranchées, stéréotypées comme sur une fresque symboliste, de Marie Kalinine chargée d’incarnée la sombre Margared et de pousser ses imprécations. Malgré son profil sorti d’une toile de Gustave Moreau, cette mezzo aux allures de prêtresse n’a pu faire oublier une émission un peu brouillée. Et que ces deux jeunes artistes, aux présences et aux voix par ailleurs plus qu’intéressantes, gagneraient à apprendre à mieux bouger en scène.
 
Mais Saint Corentin, superbement et trop brièvement incarné par Christian Tréguier, a su aussi faire des miracles, comme avec son fameux poisson ! De Nicolas Courjal, en trop éphémère Roi d’Ys, on ne cesse de vanter la présence à la fois fine et majestueuse, la subtilité d’une voix aussi musicale que charnue, la diction parfaite qui en font sans doute la plus belle basse française à ce jour. Même bonne surprise avec le vaillant et robuste Karnac de Régis Mengus, tout nouveau venu sur les scènes françaises, et qui se déplace avec autant d’aisance qu’il fait éclater son ample voix de baryton.
 
Enfin, la petite merveille, la pépite qu’a représenté pour tous la découverte d’Aurélie Ligerot, elle aussi fraîchement arrivée dans l’arène lyrique: un phrasé souple, un timbre lumineux, des aigus limpides, un sens dramatique et une gestuelle parfaits, cette gracieuse petite brunette à la ville, ici muée en blonde héroïne à multiples boucles et lourde tournure, a paru capable de dominer bien des situations avec une fraîcheur inhabituelle, et sans la moindre mièvrerie. Merci à Saint Corentin, et merci à Eric Blanc de la Naulte, nouveau directeur de l’Opéra de Saint-Etienne dont on murmure qu’il va bientôt annoncer une saison plus que surprenante. A condition de surveiller les écluses, ce Roi d’Ys ajoute au prestige de la maison.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Lalo : Le Roi d’Ys - Saint-Etienne, Opéra, 4 mars, prochaine représentation, 8 mars 2016. www.opera.saint-etienne.fr
 
Photo © Cyrille Chauvet

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