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Karina Gauvin, soprano – La rareté, de Debussy à Spontini
La France a le goût des étiquettes - très adhésives ! Bien qu’elle ait incarné une magnifique Vitellia au Théâtre des Champs-Elysées en décembre 2014, sous la baguette de Jérémie Rhorer, Karina Gauvin reste dans beaucoup d’esprits cantonnée au répertoire haendelien. De Purcell à Tyler Williams, en passant par Boismortier, Porpora, Bach, Mahler, le récital paru récemment chez ATMA Classique (1) est venu rappeler que la soprano québécoise possède pourtant un très vaste répertoire.
Un père spirituel
Aucun regret de sa part toutefois de s’être autant consacrée à l’auteur de Rinaldo sous la direction d’Alan Curtis, du mitan des années 2000 à la disparition en 2015 d’un chef et musicologue qu’elle décrit comme un « père spirituel » et évoque avec une visible émotion. « Nous éprouvions une grande tendresse réciproque, confie-t-elle ; j’ai énormément appris de lui. Je représentais à ses yeux la soprano haendelienne par excellence. C’était un être raffiné, d’une grande culture. Toute sa démarche, d’une grande sobriété, était fondée sur le texte musical. »
Karina Gauvin n’abandonne pas Haendel, elle le retrouvera par exemple à la rentrée à Ambronay, sous la direction de Christophe Rousset, mais l’évolution, l’ « extension » de sa voix comme elle le dit, la conduisent de plus en plus vers d’autres rivages musicaux.
Un projet palpitant
Sa proche actualité parisienne est entièrement placée sous le signe de la rareté. Le 15 avril à Radio France, parallèlement aux sessions d’enregistrement pour Erato (2), elle tient le rôle de Lia dans L’Enfant prodigue, scène lyrique de Claude Debussy. Une œuvre de jeunesse du Français, « encore exploratoire et imprégnée de XIXe siècle mais tellement intéressante, dit-elle. Nous ne sommes pas encore dans les grandes années du compositeur mais ... on vient tous de quelque part ; nul ne naît de la cuisse de Jupiter. »
Le bonheur qu’éprouve la chanteuse à aborder pour la première fois cet ouvrage est décuplé par l’identité des deux collègues qui l’entourent. Roberto Alagna – leur première collaboration – et Jean-François Lapointe, compatriote avec lequel elle n’a pas travaillé depuis fort longtemps, seront en effet à ses côtés, tous sous la baguette d’un Mikko Franck. Le patron du Philhar., on en prend le pari, saura faire ressortir des couleurs et des détails étonnants de cette partition méconnue. Il est « palpitant de commencer la saison printanière avec un tel projet », conclut Karina Gauvin avec un enthousiasme tout québécois !
Ça va être du toast !
Un mois et demi plus tard, au Théâtre des Champs-Elysées, le 3 juin, la soprano s’attaque à bien plus rare encore en abordant le rôle-titre de l'Olympie (1819) de Gaspare Spontini.
C’est Jérémie Rhorer qui l’a embarquée dans ce beau projet. «Un chef très facile dans le travail et très à l’écoute de ses chanteurs. ». Beau souvenir que Vitellia : «Jérémie était toujours là pour me laisser fleurir vocalement. C’est un grand chef lyrique qui laisse la possibilité de s’exprimer, d’être différent d’une représentation à l’autre, tout en conservant un parfait contrôle d’ensemble.»
L’expérience et le sens vocal de Rhorer ne seront pas de trop pour aborder Olympie, « rôle exigeant qui ne laisse pas beaucoup de place pour respirer. Ça va être du toast, comme on dit en bon québécois ! Spontini est un précurseur du Grand Opéra français. J’ai hâte de voir comment les choses vont sonner sur le plan orchestral. Les personnages d’Olympie sont comparables à des colonnes grecques. Le dialogue avec Jérémie sera essentiel pour trouver la manière de restituer l’ouvrage." Nul ne s'étonnera d'apprendre que sa résurrection s'effectura dans le cadre du 4ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris ; une soirée pour laquelle Karina Gauvin partagera l’affiche avec Charles Castronovo, Josef Wagner et Patrick Bolleire.
Alain Cochard
(Entretien avec Karina Gauvin réalisé le 31 mars 2016)
(1) 1CD ATMA classique ACD2 3017
(2) L’Enfant prodigue sera couplé, en concert comme au disque, avec L’Enfant et les Sortilèges de Ravel (avec C. Briot, N. Stutzmann, S. Devieilhe, J. Devos, J. Pasturaud, F. Piolino, J.-F. Lapointe et N.Courjal)
Debussy : L’Enfant prodigue
Karina Gauvin, Roberto Alagna, Jean-François Lapointe,
Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Mikko Franck
15 avril 2016 – 20h
Paris – Auditorium de Radio France
maisondelaradio.fr/evenement/concerts-du-soir/lenfant-et-les-sortileges-1/la-croisee-des-arts-musique-et-histoire-des
Photo Karina Gauvin © Michael Slobodian
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