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«Grand Soir » à la Philharmonie - Passions grand format - Compte-rendu
«Grand Soir » à la Philharmonie - Passions grand format - Compte-rendu
Comment faire vivre autrement la musique d’aujourd’hui ? Cette interrogation occupe Matthias Pintscher (photo) depuis son arrivée à la tête de l’Ensemble intercontemporain. Dès sa première saison, en 2013, le directeur musical nouvellement nommé proposait des week-ends entiers de musique – appelés « Turbulences » - qui secouaient un peu l’ordonnancement immuable des concerts de la Cité de la musique : concerts grand format de plusieurs heures, moments musicaux intercalés durant les entractes, lieux inhabituels (comme le Musée de la musique)… S’ils ont été abandonnés sous cette forme et cette ambition, les concerts « hors normes » ressurgissent avec ces « Grands soirs » pilotés par l’Ensemble intercontemporain mais pleinement intégrés dans la programmation thématique des week-ends de la Philharmonie de Paris.
Le « Grand soir » du 9 avril prend ainsi le titre un peu fourre-tout de « Passions ». « Voix » aurait aussi bien convenu puisque cinq œuvres parmi les sept programmées font appel à des solistes vocaux. Insideout, « épisode pour soprano, baryton et ensemble » du Slovène Vito Zuraj Vito est, selon les propres termes de ce compositeur de 37 ans, une œuvre « semi-théâtrale ».
De fait, malgré le mélange de langues qui constitue le texte d’Alexander Stockinger, la teneur du propos (rencontre-apothéose-séparation) est rendue évidente par l’écriture vocale : aiguë et agitée pour la soprano (Yeree Suh), essentiellement rectiligne pour le baryton (Jarrett Ott). Les voix prennent appui l’une sur l’autre puis progressivement s’opposent. En arrière-plan, les sonorités instrumentales sont élégamment travaillées mais le rôle dramatique de l’ensemble (16 musiciens, dont deux percussionnistes) apparaît finalement plutôt effacé.
Ce n’est certainement pas le cas dans Erwartung de Schoenberg, auquel Matthias Pintscher confère à la fois dynamique et couleurs (si l’on peut dire, dans cette œuvre aussi sublime que sublunaire). Le chef obtient de chaque musicien de l’Orchestre de Paris, une précision de soliste et construit une trame dramatique mouvante au gré des « visions » suscitées par le texte. L’orchestre se révèle un partenaire magnifique, à la hauteur du chant de Solveig Kringelborn, magistralement inspirée, dont la voix n’a aucune peine à investir l’espace de la Grande Salle de la Philharmonie, ni l’expression à captiver le public tout au long de l’œuvre.
Les mêmes qualités, ampleur des lignes globales et acuité du détail, se retrouvent dans les deux œuvres purement instrumentales, qui partagent, par l’usage de notes ou figures rythmiques répétées, un même caractère obsessionnel : Passacaille pour Tokyo (1994) de Philippe Manoury (avec le pianiste Hideki Nagano et l’Ensemble intercontemporain) et Stille und Umkehr (1970) de Bernd Alois Zimmermann, où quelques musiciens de l’Ensemble se mêlent à ceux de l’Orchestre de Paris.
La seule véritable réserve quant à ce « Grand soir » globalement très réussi tient à ce qui, sur le papier, était une bonne idée : l’insertion dans ce programme de pages de Bach, extraits de la Cantate « O holder Tag, erwünschte Zeit » et de la Passion selon saint Matthieu. L’interprétation révèle l’impossibilité de l’exercice : l’Ensemble intercontemporain ne possède à l’évidence pas le style de cette musique et la précision ici n’est d’aucun secours. Les instruments ne résonnent pas entre eux et n’offrent aux solistes (Yeree Suh dans la cantate, Jarrett Ott dans un récitatif et un air de la Passion) aucune assise rythmique ou harmonique fiable. Peut-être aurait-il mieux valu confier cette partie instrumentale à un orchestre plus étoffé (l’Orchestre de Paris) sinon à un ensemble et un chef spécialisés. Toujours est-il que, sitôt revenus dans leur répertoire, Matthias Pintscher et l’Ensemble intercontemporain offrirent à Yeree Suh toute la vigueur et la volupté possibles dans l’accompagnement des Offrandes de Varèse. On retrouvait là, vraiment, la passion.
Jean-Guillaume Lebrun
Le « Grand soir » du 9 avril prend ainsi le titre un peu fourre-tout de « Passions ». « Voix » aurait aussi bien convenu puisque cinq œuvres parmi les sept programmées font appel à des solistes vocaux. Insideout, « épisode pour soprano, baryton et ensemble » du Slovène Vito Zuraj Vito est, selon les propres termes de ce compositeur de 37 ans, une œuvre « semi-théâtrale ».
De fait, malgré le mélange de langues qui constitue le texte d’Alexander Stockinger, la teneur du propos (rencontre-apothéose-séparation) est rendue évidente par l’écriture vocale : aiguë et agitée pour la soprano (Yeree Suh), essentiellement rectiligne pour le baryton (Jarrett Ott). Les voix prennent appui l’une sur l’autre puis progressivement s’opposent. En arrière-plan, les sonorités instrumentales sont élégamment travaillées mais le rôle dramatique de l’ensemble (16 musiciens, dont deux percussionnistes) apparaît finalement plutôt effacé.
Ce n’est certainement pas le cas dans Erwartung de Schoenberg, auquel Matthias Pintscher confère à la fois dynamique et couleurs (si l’on peut dire, dans cette œuvre aussi sublime que sublunaire). Le chef obtient de chaque musicien de l’Orchestre de Paris, une précision de soliste et construit une trame dramatique mouvante au gré des « visions » suscitées par le texte. L’orchestre se révèle un partenaire magnifique, à la hauteur du chant de Solveig Kringelborn, magistralement inspirée, dont la voix n’a aucune peine à investir l’espace de la Grande Salle de la Philharmonie, ni l’expression à captiver le public tout au long de l’œuvre.
Les mêmes qualités, ampleur des lignes globales et acuité du détail, se retrouvent dans les deux œuvres purement instrumentales, qui partagent, par l’usage de notes ou figures rythmiques répétées, un même caractère obsessionnel : Passacaille pour Tokyo (1994) de Philippe Manoury (avec le pianiste Hideki Nagano et l’Ensemble intercontemporain) et Stille und Umkehr (1970) de Bernd Alois Zimmermann, où quelques musiciens de l’Ensemble se mêlent à ceux de l’Orchestre de Paris.
La seule véritable réserve quant à ce « Grand soir » globalement très réussi tient à ce qui, sur le papier, était une bonne idée : l’insertion dans ce programme de pages de Bach, extraits de la Cantate « O holder Tag, erwünschte Zeit » et de la Passion selon saint Matthieu. L’interprétation révèle l’impossibilité de l’exercice : l’Ensemble intercontemporain ne possède à l’évidence pas le style de cette musique et la précision ici n’est d’aucun secours. Les instruments ne résonnent pas entre eux et n’offrent aux solistes (Yeree Suh dans la cantate, Jarrett Ott dans un récitatif et un air de la Passion) aucune assise rythmique ou harmonique fiable. Peut-être aurait-il mieux valu confier cette partie instrumentale à un orchestre plus étoffé (l’Orchestre de Paris) sinon à un ensemble et un chef spécialisés. Toujours est-il que, sitôt revenus dans leur répertoire, Matthias Pintscher et l’Ensemble intercontemporain offrirent à Yeree Suh toute la vigueur et la volupté possibles dans l’accompagnement des Offrandes de Varèse. On retrouvait là, vraiment, la passion.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Philharmonie, Grande Salle, 9 avril 2016.
Photo © Ameyric Warmé-Janville
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