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Vladimir Ashkenazy dirige le Philharmonia Orchestra - Rachmaninov exalté - Compte-rendu
Vladimir Ashkenazy (photo) appartient à ces rares chefs d’orchestre qui se sentent investis d’une mission (Colin Davis en fut un autre, et le compliment n’est pas mince !). C’est ainsi qu’il possède son répertoire propre, qui n’est certes pas celui de tout un chacun, mais qu’il porte comme un flambeau de croisade : en faveur naguère, et toujours, de Sibelius, mais aussi de Rachmaninov. Deux compositeurs longtemps indécemment dépréciés, même si pour le premier les médisances au ras du sol d’un pâle Adorno et du plus sympathique Leibowitz ont depuis lors fait long feu…
Boris Berezovsky © DR
Rachmaninov bénéficie cependant de l’engouement constant du public, à en juger par un Théâtre des Champs-Élysées comble pour ce programme qui lui est entièrement dédié, réunissant Vocalise op. 34, le peu fréquent Concerto pour piano n° 1 et la Symphonie n° 2. Quand bien même ce goût fidèle se réserve davantage aux élans pianistiques du compositeur (ignorant des chefs-d’œuvre comme Les Cloches ou L’Île des morts). Et il est ici pleinement gratifié, par un Boris Berezovsky maître absolu de son instrument : délié et ardeur conjugués, virtuosité transcendante et musicalité immanente intimement mêlés. Ce Premier Concerto, et premier opus du compositeur, le met pourtant à rude épreuve, dans un investissement du soliste incessant et sans concession. Berezovsky n’est pas seulement cette bête du clavier, comme il en est tant d’autres, mais un artiste souverain. Le bis d’un bref Prélude de Rachmaninov le démontrerait, livrant une autre facette, toute de dentelles, après l’exploit athlétique.
L’orchestre le seconde au mieux, on s’en douterait ou ne s’en douterait pas, dans un dialogue fécond propre à valoriser l’un comme l’autre sans préjudice de l’un à de l’autre. Déjà, dans Vocalise, sa sonorité fait merveille, dans le velouté de cette courte élégie symphonique. Mais c’est avec la sublime Deuxième Symphonie que le creuset alchimique atteint la transmutation du Grand Œuvre. Ashkenazy est le démiurge d’une force tellurique, transfigurant la belle matière du Philharmonia (ces cordes voluptueuses ! ces vents volubiles ou terrifiants !) en bouillonnement incandescent, jusqu’à la course à l’abîme d’un quatrième mouvement porté d’une fulgurance démoniaque. Ashkenazy ou le transmetteur, l’archange tutélaire de Rachmaninov.
Pierre-René Serna
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 15 avril 2016
Photo © Jim Steere / Decca
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