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Le Messie par le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux - élégante épure
Formidable idée qu’a eue Charles Jude de remonter pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, qu’il dirige depuis vingt ans, cette vision éthérée du Messie de Haendel que le chorégraphe Mauricio Wainrot créa en 1996 pour le Ballet des Flandres avant de la montrer dans le sublime théâtre de Victor Louis, lequel la retrouve donc onze ans après. Lorsque le ballet blanc se veut sacré ! Notre époque a enfin compris, qu’elle utilise le langage le plus contemporain ou s’en tienne à des codes classiques, combien la danse, sans pour autant se vouloir acte religieux, comme dans les danses traditionnelles orientales ou africaines, pouvait se charger d’une forte dimension spirituelle, rôle longtemps dévolu à la seule musique. Et pourtant, quoi de plus chrétien que Giselle, fantôme bénéfique porteur d’un amour rédempteur, grâce à laquelle le siècle romantique pût enfin donner au ballet sa dimension de transcendance ou de pure réflexion ?
Dès le dernier tiers du XXe siècle, on n’a plus compté les démarches en ce sens : libérés de leur rôle de divertisseurs, de baladins, les chorégraphes n’ont plus eu peur de s’attaquer à d’immenses pièces du répertoire sinon sacré, du moins de couleur religieuse. Le chef-d’œuvre du genre demeurant la version, sans doute proche d’un mystère du Moyen Age, que John Neumeier osa pour la Passion selon Saint Matthieu, et qui continue d’être l’un des emblèmes de sa compagnie hambourgeoise. Uwe Scholz aussi, grand chorégraphe prématurément disparu, offrit à la scène de Leipzig quelques une des ces grandes fresques où le corps se mettait à l’unisson des élans mystiques ordonnancés par les plus grands compositeurs, notamment avec son admirable mise en pas de La Création de Haydn. Pour le Messie, John Neumeier, lui encore, s’est également attaqué à l’œuvre haendelienne, rencontre cependant moins heureuse que celle qu’il a eue avec Bach
Le Messie © Sigrid Colomyes
Mauricio Wainrot, décidément, n’a pas sur nos scènes la place que son talent puissant mériterait. Ce juif argentin qui a su maîtriser de lourds fantômes du passé grâce à une gestique épurée, voire hautaine, n’a pas la côte des légers trublions à l’anglo-saxonne qui charment aujourd’hui. Directeur de nombreuses compagnies notamment dans son pays, chorégraphe demandé partout, on ne le connaît guère en France. Voici donc avec ce Messie élagué - il n’a voulu en conserver que 31 thèmes, renonçant notamment à la troisième partie - une sorte de vision façon Neumeier mais en moins brûlé, un havre de beauté mesurée, d’équilibre néo-classique, d’émotion intime, avec de délicates mises en perspectives des attitudes, comme dans des tableaux Renaissance. Le tout porté par la grâce, distillé dans la blancheur immaculée des costumes et décors de Carlos Gallardo, et tendant vers l’éveil final d’une joie qui n’explose pas de façon baroque mais se répand doucement comme une onde bienfaisante.
Une pièce admirablement architecturée, où la beauté quasi immatérielle des figures démultipliées transporte dans un monde purifié de ses scories par la magie de ces corps merveilleusement maîtrisés au service de la pensée. Le Ballet de Bordeaux, qui s’y déploie sans pointes, montre ici une empathie totale avec la volonté du chorégraphe, une sorte de douce cohésion qui laisse peu de place aux performances individuelles, et révèle une troupe d’un niveau harmonieux et équilibré. Depuis ce 1er juillet, elle se verra privée de sa vedette, le flamboyant Igor Yebra, adoré du public, qui tire sa révérence après de bons et loyaux services, mais parmi les quarante danseurs de la compagnie, on peut admirer sans réserves l’Ukrainienne Oksana Kucheruk, l’Italienne Sara Renda, le Russe Roman Mikhalev, et dans le corps de ballet, une silhouette fluide, légère, bondissante, celle de Marc-Emmanuel Zanoli, qui n’aurait pas déparé chez Béjart par son romantisme inspiré et poétique.
Seule ombre à la perfection de ce moment de sérénité limpide, la direction un peu emportée de la chef Andrea Quinn, qui ne jauge peut-être pas à sa juste mesure la puissance sonore du Théâtre de Bordeaux et s’est de surcroit laissée portée par une dynamique d’un baroque exacerbé, là où le chorégraphe avait lui, paru dominer les codes de l’époque haendélienne. Ce qui nuisait quelque peu à la beauté séraphique de la danse. Entre baroque et classicisme un léger antagonisme s’est donc dessiné, non sans intérêt d’ailleurs. L’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine a vaillamment suivi, ainsi que les chœurs, tout à leur joie, car il s’agissait d’unir l’ensemble des forces de la maison, tandis qu’un quatuor de jeunes solistes, Nika Goric, Claire Barnett-Jones, Oliver Johnston et Timothy Murphy, tous formés à la Royal Academy of Music, comme la chef d’ailleurs, assurait le label d’origine !
Jacqueline Thuilleux
Le Messie (Haendel – Wainrot) - Bordeaux, Grand Théâtre, 28 juin 2016, prochaine représentation, le 1er juillet 2016, adieux de Igor Yebra / www.opera-bordeaux.com
Photo © Sigrid Colomyes
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