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Monsieur Beaucaire de Messager à la Maison de la Radio – Un affriolant « opéra radiophonique » - Compte-rendu

André Messager (1853-1929) fut en son temps un chef d’orchestre de renommée mondiale, recherché de Buenos Aires à Covent Garden, l’un des imaginatifs directeurs de l’Opéra-Comique et le créateur, entre autres, de Pelléas et Mélisande. Mais ce fut aussi un compositeur, dans le genre lyrique léger de l’opérette ou de l’opéra-comique. Ses ouvrages ont connu en leur temps le succès, pour à notre époque sombrer dans l’oubli. Les résurrections de Véronique en 2008 au Châtelet et de Fortunio Salle Favart fin 2009 ont ainsi pu faire figure d’événements.
 
On ne saurait donc que louer l’initiative conjointe de l’Opéra-Comique (hors les murs) et de Radio France, pour une « coréalisation » (et non pas « coproduction », nuance !) de Monsieur Beaucaire, qui honore les deux maisons. Ce qui, au demeurant, répond entièrement à la vocation de l’Opéra-Comique, comme d’une certaine manière à celle de la radio française de service public. 
 
Dans la production de Messager, Monsieur Beaucaire constitue toutefois un ouvrage particulier. Cette « opérette romantique » fut en effet créée à Birmingham, le 7 avril 1919 au Prince of Wales Theatre, sur un livret en anglais tiré d’un célèbre roman de Booth Tarkington (qui devait aussi donner lieu à une adaptation cinématographique). Puis l’ouvrage allait conquérir le Prince’s Theatre de Londres, et enfin Broadway en 1920. La création française ne viendra qu’en 1925, avec une adaptation du livret en français d’André Rivoire et de Pierre Weber (deux spécialistes attitrés de l’opérette), au Théâtre Marigny, pour ne presque plus quitter l’affiche à Paris. Jusqu’à son entrée au répertoire de l’Opéra-Comique, en 1955, mais pour une seule saison. Et ce fut ensuite l’abandon…
 
Le contexte de la création s’explique aussi par le sujet de l’œuvre, planté dans une cour britannique de fantaisie d’un XVIIIe siècle tout aussi fantaisiste, où s’introduit un seigneur français en butte aux jalousies et aux amours contrariés. Tout finira pour le mieux, et le Français pourra convoler en justes noces avec sa promise anglaise. L’Entente cordiale en quelque sorte ! Et une projection de la vie même de Messager, qui venait d’épouser sa seconde femme, la Britannique Hope Temple.
 
Que dire de l’œuvre ?... Avec ses dialogues bien enlevés et ses vingt-cinq numéros musicaux bien tournés, elle recèle de nombreux charmes. Reconnaissons toutefois que l’inspiration musicale n’atteint pas toujours celle de Véronique (le chef-d’œuvre de Messager ?), sinon de Fortunio, entre des mélodies joliment arrondies voire un peu sucrée, des pastiches baroques, des chœurs martelés, et quelques rares et beaux élans lyriques dévolus sur la fin aux deux principaux protagonistes. Mais l’enjeu se justifie pleinement, ne serait-ce que par sa cohésion, de l’œuvre comme de sa restitution.
 
Car au Studio 104 de la Maison de la Radio, tout est mis au service de la réalisation. Et abord, ce qui n’est pas le moindre, le respect du texte, livret et musique. On a trop souffert de réductions – ou pire de transpositions ! – des passages parlés dans les opéras-comiques, pour ne pas ici applaudir à leur scrupuleuse restitution. Ce qui confine quasiment à l’audace par les temps qui courent, et, en outre et surtout, offre le rare privilège de pouvoir juger sur pièces. Il en est pareillement de la partition, livrée telle qu’en elle-même, hors, inexplicablement, le dernier air tronqué du rôle-titre. On regrette cependant la sonorisation des passages parlés, qui induit un préjudiciable hiatus avec les moments chantés, eux fort heureusement et naturellement lancés sans autre artifice.
 
Le plateau s’acquitte sans ambages ni anicroches de sa tâche : depuis l’assurance que l’on connaît à Jean-François Lapointe pour Beaucaire, à l’adéquation mêlée de Julien Behr, Anne-Catherine Gillet, Jodie Devos, Jean Teitgen et Franck Leguérinel. L’Orchestre Philharmonique de Radio France et le Chœur maison se coulent avec délices, pour des plaisirs partagés par la direction de Sébastien Rouland. Un bouquet de comédiens, bon diseurs comme les chanteurs, des bruitages de circonstance (menés par l’expert Bertrand Amiel), une réalisation animée de Cédric Aussir : et le tour est joué, pour un affriolant « opéra radiophonique » capté par France Culture.
 
Pierre-René Serna

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André Messager : Monsieur Beaucaire – Paris, Studio 104 de  la Maison de la Radio, 16 octobre 2016.
 Diffusion le 1er janvier 2017 sur France Culture.
 
Photo (S. Rouland, J.-F. Lapointe, Julien Behr, J. Teitgen) © Radio France / Christopha Abramowitz

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