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Trois questions à Marie-Agnès Gillot, invitée de la Fondation Louis Vuitton - Hommage aux Ballets Russes
Elle est hors normes, avec ses immenses jambes déployées comme des étendards, son profil de médaille, ses proportions qui l’éloignent de l’usine à Sylphides qui la forma, son amour de la liberté, son mépris des convenances. Vedette à part, elle s’est prêtée au jeu des luxueuses publicités, endossant parmi d’autres rôles le profil d’icônes de mode, Mais depuis qu’on repéra cette forte nature à l’Opéra de Paris, l’étoile Marie-Agnès Gillot n’a cessé de surprendre, et de suivre un chemin dont elle revendique la singularité. Rebelle, non, entière oui. La voici au cœur des quelques séances chorégraphiques que la Fondation Louis Vuitton consacre à l’esprit novateur des Ballets Russes, éternelle source d’inspiration.
Comment s’est dessinée cette nouvelle aventure à la Fondation Louis Vuitton ?
Marie-Agnès GILLOT : On m’a demandé de participer à cette réflexion autour des Ballets Russes et comme il s’agissait de travailler avec Sidi Larbi Cherkaoui, avec lequel j’ai déjà collaboré pour deux pièces, j’ai dit oui sans hésiter. J’adore son travail, tout de souplesse et de fluidité. Son style ne ressemble vraiment à aucun autre et on pourra aussi en juger avec son Faun, repris lors de la soirée par Daisy Phillips et James O’Hara. Pour cet Oiseau de Feu qui emprunte douze minutes à la partition de Stravinski, il a construit un pas de deux très charnel, très difficile aussi, avec énormément de portés, qui tourne autour de l’idée du couple et que je danse avec Friedemann Vogel, étoile du Ballet de Stuttgart. Un couple qui se frôle, se cerne, deux êtres qui s’imprègnent l’un de l’autre. J’emploie à dessein ce mot d’imprégnation, qu’utilisent les dresseurs d’animaux et particulièrement les oiseleurs, avec lesquels je suis en relation, puisque en dehors de l’Opéra, il m’arrive de danser avec des cygnes. Une démarche tout à fait à part, qui me fait les rencontrer, les habituer à ma présence avec toutes sortes de codes, car aucun oiseau n’a les mêmes rapports, les mêmes rythmes. Peu à peu, je les approche, je crée une sorte d’intimité qui d’ailleurs ne dure pas, car il faut recommencer avec d’autres, comme si rien ne s’était passé. Je tiens de cet amour de mon grand père, qui avait une volière ouverte.
Quel rapport avez-vous eu avec les Ballets de l’époque Diaghilev ?
M.-A. G : J’en ai dansé beaucoup, à commencer en 1993 par Le Sacre du Printemps de Nijinski que Kenneth Archer et Millicent Hudson ont recréé à partir de tout ce qu’ils ont pu rassembler comme traces de la chorégraphie, des décors et costumes. C’est peut être mon rôle préféré, car c’était fabuleux d’être au cœur de cette musique. J’ai aussi dansé Noces de Bronislava Nijinska, Petrouchka bien sûr, Till l’Espiègle, encore de Nijinski. Et même l’Oiseau de Feu de Fokine que Wilfrid Piollet avait reconstitué et pour lequel on m’a refait le costume initial, aujourd’hui conservé à l’Opéra. Mais je n’ai pas eu la chance de danser le Sacre dans la version de Béjart, bien que j’aie entretenu avec lui une relation extraordinaire. Toute jeune, il m’a remarquée, alors que je dansais dans son ballet Le Concours, et m’a soutenue d’un enthousiasme et d’une affection qu’il manifestait avec une simplicité incroyables.
Vous approchez de l’heure fatidique du départ, puisque vous avez 41 ans, comment l’envisagez vous ?
M.-A. G. Je ferai mes adieux dans l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch, que j’aime passionnément. J’ai énormément dansé de chorégraphies contemporaines, avec un immense bonheur, comme la Giselle de Mats Ek et Signes de Carolyn Carlson, qui m’a valu ma nomination d’étoile. Bien sûr je ne renie rien de mon travail de ballerine classique, et ce serait une ineptie de le faire après le travail que j’ai mené pour acquérir une très bonne technique. Je regrette simplement que le sujet de ces ballets soit souvent niais et inconsistant, à l’exception de quelques chefs d’œuvres comme Le Lac des Cygnes, qui demeure mon rôle classique préféré. Je suis aussi très engagée dans la création chorégraphique, souvent dans des cadres spéciaux: ainsi je viens de travailler à la prison centrale d’Arles, avec l’aide de 18 détenus, sur le thème de l’enfermement et de la reprise en main du corps lorsqu’on est libéré, ceci sur la musique du Boléro de Ravel. J’ai également créé une école à Moncalvo près de Turin, où je vais mettre en place un enseignement tout à fait nouveau. J’ai vu trop de cassures pour rien dans la pratique académique traditionnelle! Et pour en revenir au pas de deux de Cherkaoui sur l’Oiseau de Feu, je rêve de le présenter dans le cadre de la soirée des Benois de la Danse, qui réunissent à Moscou en mai prochain, tous les anciens gagnants, dont je suis.
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 24 octobre 2016
Paris - Fondation Vuitton, les 29 et 30 octobre 2016.
Egalement au programme, Lil Buck, rappeur américain, pour La mort du Cygne et Petrouchka, et projection du film Les Ballets russes de Nijinski, réalisation Christian Comte. www.fondationlouisvuitton.fr
Photo © Lisa Roze
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