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Une interview de Nicolas Courjal, basse – « A partir de 40 ans on commence à pouvoir envisager les grands rôles de basse »
L’année 2017 est jalonnée de très beaux projets, marquée par d’importantes prises de rôles comme Pimène et Philippe II à Marseille, ainsi que celle de Capellio des Capuleti e I Montecchi dans quelques semaines, l’enregistrement live des Troyens à Strasbourg, Ramfis à Orange : peut-on dire que votre carrière, votre notoriété et tout ce que vous avez fait jusqu’à maintenant décolle ?
Nicolas COURJAL : Oui en effet, c'est une très belle année, mais vous savez, je travaille depuis vingt ans et à 23 ans j’étais déjà en troupe, ce qui pour une basse était tôt. A partir de 40 ans on commence à pouvoir envisager les grands rôles de basse et par chance, ils m'ont été proposé, mais faut-il encore que le virage arrive, car les basses mettent plus de temps que les autres voix à éclore : nous sommes heureux d'avoir quelques phrases à chanter chez Strauss, obtenir quelques petits rôles ici et là tout en rêvant à ces partitions inaccessibles qui ne sont pas encore pour nous. Alors nous travaillons, nous avançons pas à pas, nous progressons et nous nous préparons en prévision du jour où l'on viendra nous proposer des rôles plus importants. Je suis parvenu à ce point-là.
Avec le recul, a-t-il été facile de commencer dans ce métier avec une voix de basse qui ne correspondait pas au physique que l’on a à vingt ans, ce qui explique que vous ayez construit votre carrière pas à pas ?
N.C. : A 20 ans, une jeune basse n’est pas prête à aborder les grands rôles du répertoire, ni vocalement, ni physiquement, car ils demandent de la matière, du vécu, de l'expérience ; on en rêve bien sûr, secrètement, mais pour ma part cela n'a pas été fastidieux, car je n'étais pas pressé. Vers 35 ans j'ai commencé à recevoir quelques propositions plus intéressantes ce qui m'a semblé naturel car j'étais déjà sur scène et heureux de faire des seconds rôles un peu partout, de pouvoir me retrouver en compagnie d'artistes de renom, de partager des moments qui m'ont beaucoup aidé. J'ai pu apprendre le métier en chantant Masetto et une quantité de rôles intermédiaires très utiles pour progresser, alors que les sopranos et les ténors sont plus rapidement mis en contact avec des rôles de premier plan, parfois dangereux. Si l'on est une jeune basse impatiente, ce chemin peut sembler dur, pour quelqu'un comme moi ça n'a pas été le cas.
Pouvez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles vous êtes si proche de l’Opéra de Marseille, vous natif de Rennes, puisque vous serez à nouveau présent la saison prochaine avec La Favorite et Herodiade et que vous y chantez régulièrement depuis plusieurs années ?
N.C. : Ma carrière a débuté dans le sud car le premier qui m'ait fait confiance a été Raymond Duffaut, en m'invitant à Avignon. J'ai par la suite travaillé à Montpellier et en 2009, Maurice Xiberras m'a demandé de faire un récital dans le cadre du Festival d'art sacré à Marseille. Il est venu me voir car il réfléchissait à la distribution d'un futur Don Giovanni ; il m'a proposé Masetto. A cette époque je ne souhaitais plus chanter ce personnage et lui ai dit qu'en revanche celui du Commandeur m'intéressait. Il m'a rappelé quelque temps après pour me dire que j'avais le rôle et comme tout s'est très bien passé, la relation s'est installée. Il y a toujours des risques à concevoir une distribution – voyez ce qu’il a été capable de faire avec Boris Godounov où de nombreux artistes français ont été invités (Nicolas Courjal vient de chanter Pimène avec succès en février ndlr) et ce que cela implique par rapport à la profession et au public – mais lorsque les résultats son probants la relation peut s’installer. Vous savez la vie d'un chanteur est faite de rencontres, sans elles certains artistes talentueux peuvent rester de côté. Par ailleurs le sud de la France se situe dans une sphère particulière où les directeurs se déplacent, Jean-Louis Grinda m'a, par exemple, confié Les Contes d'Hoffmann pour la saison prochaine.
L’élément prédominant a été votre rencontre avec votre professeur de chant, Jane Berbié, à Paris : comment qualifieriez-vous son enseignement, sa manière de vous faire aimer la musique et de vous apprendre la technique ?
N.C. : Je lui suis redevable en tout : j'avais la passion pour la musique car j'étais violoniste, mais Jane a su me faire aimer l'opéra tout en respectant mon amour pour le classique et la musique de chambre en particulier. Depuis mes débuts dans l'apprentissage du chant vers 17 ans, j'étais passé d'un professeur à l'autre et chantais de façon instinctive, sans savoir ce qu'était l'opéra que j'ai découvert en l'apprenant avec Jane. Ma rencontre avec elle a été formidable, car en l’espace d’un an j'ai compris ce que cela impliquait, les enjeux et la passion qui allait en découler. J'ai immédiatement aimé sa rigueur et la patience qu'elle m'a imposé : pendant une année je n'ai chanté que des oratorios et des mélodies, ce qui m'allait parfaitement. Elle a su m'inculquer la technique et est parvenue à « sortir ma voix » en quelques mois. Et puis elle avait une connaissance incroyable du métier, elle venait d'une troupe et avait travaillé partout. Je l'ai suivie en cours particuliers quand elle a pris sa retraite, puis ai intégré la troupe de l'Opéra-Comique, aux alentours de 23 ans ; il fallait assurer la saison complète, mais Jane a toujours été présente, assistant aux répétitions, me guidant par rapport au fonctionnement du métier, dans la gestion d'un planning, de la fatigue. Son expérience m'a énormément aidé. Pour un chanteur comme moi sa présence a été précieuse. Nous nous appelons souvent et il m'arrive encore d'aller la voir quand je dois débuter dans un rôle difficile, comme celui du Roi Marke, l'an dernier. Mais dégager dix ou quinze jours pour travailler avec elle est devenu compliqué et puis elle a su me faire comprendre que je devais apprendre à travailler seul ! Le professeur est là pour nous donner une boîte à outils dont il faut apprendre à se servir seul. Beaucoup de chanteurs changent de professeur tous les deux ans, mais je trouve que la remise en question trop fréquente peut devenir dangereuse.
Avant vos vrais débuts en France, vous avez également décidé d’intégrer la troupe de l'Opéra de Wiesbaden : qu’étiez-vous allé chercher là-bas et qu’avez-vous appris dans cette institution ?
N.C. : Je voulais apprendre l'allemand et suis allé à l'Opernschule de Mannheim ; la matin je prenais des cours de langue et l'après-midi je me rendais à l'opéra studio. J'ai auditionné en cours d'année et on m'a proposé d'aller à Wiesbaden où je suis resté deux ans. En neuf mois j'ai participé à une centaine de spectacles, c'était un peu fou, mais il ne s'agissait que de seconds rôles, comme Masetto, Tom, Sam ou Angelotti. J'étais tous les soirs sur scène et pratiquais le métier comme les autres que j'écoutais avidement. Nous étions tous considérés, on nous faisait confiance, nous faisions partie de la maison, ce qui était très agréable. J'ai appris le métier à une vitesse folle, ai pu gagner en assurance, scéniquement bien sûr et appris aussi à connaître mes limites physiques. J'encourage tous le jeunes à suivre cette méthode.
Quand on s’arrête un peu sur les rôles que vous avez interprétés jusqu’à ce jour, on constate qu’une grande part est réservée au répertoire français (Bizet, Reyer, Rabaud, Meyerbeer, Ravel, Thomas, Berlioz..) ; d’où vient cet intérêt pour des partitions qui ne sont pas toujours les plus jouées, ni les plus défendues ?
N.C. : Je n'avais aucune appétence particulière pour ce répertoire, tout simplement parce que je les aime tous et apprécie le fait de pouvoir passer de l'un à l'autre, sans me spécialiser ou m'enfermer. Je dois avouer qu'il y a un vrai plaisir à chanter dans sa langue à la différence de l'italien ou du russe, car le rapport est moins immédiat, je dois faire un effort, alors que le français ne m'en demande pas. J'adore le répertoire français mais ce sont les directeurs qui ont cru en moi.
Après avoir chanté Les Troyens à Marseille en concert avec Alagna et Uria-Monzon en 2013, vous retrouverez Narbal en avril à Strasbourg aux côtés de Spyres, Di Donato et Lemieux sous la direction de John Nelson – un enregistrement sera réalisé pour Erato –, puis en juillet La Damnation de Faust au Festival de Colmar avec Spyres et Koch sous la baguette de Plasson. Que signifient ces projets pour vous et quels rapports entretenez-vous avec la musique de Berlioz ?
N.C. : J'ai une affinité particulière avec Berlioz dont j'ai presque tout chanté, sauf Balducci dans Benvenuto Cellini. Je suis très heureux de participer à cet enregistrement car ils sont devenus rares et lorsque l'on voit le soin qui a été mis pour constituer le cast, on ne peut qu'être satisfait. Faire partie de ce projet me procure un grand plaisir, auquel s'ajoute celui de voir qu'enfin Berlioz est rejoué, sans doute parce qu’aujourd’hui on trouve des chanteurs pour interpréter ses œuvres.
Il est plutôt rare que les basses se produisent en récital, chose assez fréquente pour vous. Vous serez à deux reprises dans ce format accompagné par Antoine Palloc à Marseille le 11 mars puis au Palazzetto Bru Zane le 27 avril. Qu’est-ce que cet exercice vous procure ?
N.C. : Quand j'ai commencé le chant j'avais envie de ne chanter que des oratorios et des récitals, car j'avais peur de la scène. Aujourd'hui ce serait inconcevable d'autant plus que c'est l'opéra qui fait vivre les chanteurs. J'en ai beaucoup donné en Allemagne car il y avait un vrai public pour cela. Mais l'opéra est arrivé et a pris tout mon temps, ce qui m'a éloigné de cette forme musicale avec regret. J'essaie d'y revenir depuis quelques années et n'hésite plus à en faire la demande à certains directeurs qui acceptent. J'aime ce format, cette intimité, l'aspect musique de chambre qui me rappelle mes années de violon, mais également parce que cela me permet de me rapprocher de la poésie. J'apprécie également le fait de pouvoir travailler en détail avec un pianiste, de réfléchir à un répertoire que nous devons faire découvrir au public. Je milite pour que la tessiture basse retrouve sa place dans les récitals, il y a tant de choses merveilleuses à chanter. A Orange il y a deux ans, j'ai commencé par le cycle Don Quichotte d'Ibert, puis mixé Duparc avec des airs d'opéra et le public a plutôt apprécié.
Vous retrouverez à nouveau Orange cet été avec Ramfis dans Aida. Aimez-vous chanter en extérieur et si oui qu’est-ce que cela vous procure ?
N.C. : Chanter en extérieur n'est pas forcément facile et se retrouver à Orange n'est pas toujours une partie de plaisir, en raison de son acoustique particulière avec ce mur dont tout le monde parle. J'ai chanté ailleurs sans mur et ce n'était pas évident non plus. Mais il faut également envisager le mistral qui peut compliquer les choses, la pluie qui peut interrompre la représentation : mais au-delà de ça, le plus impressionnant demeure les 8000 personnes qui se trouvent en face de soi, c'est le second mur, une présence écrasante, l'équivalent de quatre théâtres comme Marseille, c'est fou ! Les éléments peuvent aussi vous aider, vous porter ; pour autant je ne conseillerais jamais assez de bien connaître son rôle et de ne pas y faire de début. Il faut faire confiance à ses sensations, éviter d'aller trop loin, se contrôler et avoir confiance en sa projection.
Propos recueillis par François Lesueur, le 2 mars 2017
Opéra de Marseille (26, 29 mars, 1er et 4 avril 2017)
opera.marseille.fr/programmation/opera/i-capuleti-e-i-montecchi-vincenzo-bellini
Verdi : Don Carlo
Opéra de Marseille (8, 11, 14 et 17 juin 2017)
opera.marseille.fr/programmation/opera/don-carlo-giuseppe-verdi
Verdi : Aida
Chorégie d’Orange ( 2 et 5 août 2017)
www.choregies.fr/programme--2017-08-02--verdi-aida--fr.html
En récital :
Venise – Palazzetto Bru Zane (27 avril 2017)
Le voix du salon (Fernand de la Tombelle et ses contemporains)
(avec Antoine Palloc, piano)
www.bru-zane.com
Photo © Neil Gillespie
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