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L’Orchestre Philharmonique du Maroc relie les trois religions - La beauté du cœur - Compte-rendu
« Rien de réel ne se fait qui n’ait été d’abord été rêvé » écrivait le penseur visionnaire Denis de Rougemont. Farid Bensaïd, président de l’Orchestre dont il tient aussi le pupitre de premier violon, rêve beaucoup, et fait encore plus. Témoin cette association Ténor pour la Culture, qu’il a fondée à partir de sa base de Rabat et à ce jour le cycle musical Les religions à l’unisson. Le brillant homme d’affaires qu’il est ne recule devant aucun pari et celui qu’il lance aujourd’hui témoigne de l’image multiculturelle marocaine, pour laquelle il se bat contre vents et marées, et dieu sait que les ouragans abondent à ce jour.
C’est donc en la parisienne Eglise Saint-Germain-des-Prés, sous l’égide de sa surprenante Vierge au sourire, extraite lors de fouilles récentes, et dont l’exquise courbure fait oublier les brisures- un symbole ?- que s’est déroulé un concert hors normes sur tous les plans. Oublions d’abord l’acoustique barbouillée et caverneuse de l’église, qui emmêle les sons, comme il est fréquent dans ce genre de lieu, et gomme les contenus en ne laissant que rythmes et contours. Heureusement, quelques instruments arrivent à percer ce brouillard, ainsi le piano, qui émerge quoi qu’il arrive, tandis que les voix planent dans un univers encore plus irréel du fait de sa résonance, mais que l’orchestre, lui, a fort à faire pour garder son identité sonore. Difficile a dû être leur exécution du Requiem de Verdi, ici même l’an dernier.
Oublions aussi l’ouverture, bizarre et peu en situation, avec un extrait de Giuditta de Franz Lehár, lancé par une Caroline Casadesus glamour et frétillante, pour ne garder que l’essentiel. Car il faut le dire, et malgré les aléas de la soirée, dont les musiciens devaient être les premières victimes, l’Orchestre, qui a fêté ses vingt ans l’an passé, apparaît comme une formation de premier plan, dont on a déjà pu vérifier la qualité, pour une fois homogène, des cordes aux bois et aux vents aux percussions. Choisi par les deux jeunes pianistes en piste, la musulmane Dina Bensaïd et la juive Eloïse Bella Kohn, qui ont coutume de jouer en duo, le Concerto en ré mineur pour deux pianos de Poulenc apportait sa joie de vivre, son éclat, sa grâce. Un moment vivifiant. Acmé des intentions avouées de la soirée, un extraordinaire Ave Maria de Caccini (arrangé par l’orchestre pour la circonstance, et on sait que cette œuvre douteuse mais si belle en a vu d’autres) : les voix mêlées, envoûtantes, de la judéo-berbère Françoise Atlan, du ténor marocain Smahi El Harati, maître en musique sacrée, et de la fine Caroline Casadesus composaient un hymne bouleversant à l’amour universel.
Enfin, brouillée certes, mais bien vivante et menée à un train d’enfer par Olivier Holt, conseiller artistique et premier chef invité de l’orchestre, qui avait sans doute choisi cette allure pour sauver ce qui pouvait l’être, la 7ème Symphonie de Beethoven, absolu de la joie dansante, de la légèreté volontaire, de l’élan qui sauve. Irrésistible et jouée avec un engagement total. Ah, si le chorégraphe John Neumeier, au lieu de toujours se plonger dans les méandres de Mahler, si Maurice Béjart au lieu de sa lourde et démonstrative version de la 9ème Symphonie avaient pu s’emparer de cette merveilleuse partition, quel formidable et elfique hymne à la vie on eut pu avoir ! Mais ceci est une autre histoire.
Jacqueline Thuilleux
Paris, église Saint-Germain-des-Prés, le 17 mars 2017
Photo (Olivier Holt et l'Orchestre Philharmonique du Maroc) © DR
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