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La Maîtrise Notre-Dame de Paris et l’Orchestre du Conservatoire interprètent Ohana - L'audace récompensée - Compte-rendu
La qualité des concerts quasi hebdomadaires de la Maîtrise Notre-Dame de Paris est telle que l'on en oublierait aisément une donnée pourtant essentielle, et qui rend ces prestations d'autant plus remarquables : on y admire de jeunes musiciens non (encore, pour certains) professionnels, la Maîtrise étant d'abord un lieu – mais aussi un esprit – de formation. Poursuivant une collaboration entre les deux institutions maintes fois applaudie, les concerts en coproduction avec l'Orchestre du Conservatoire de Paris viennent régulièrement le rappeler, renforçant l'impact des concerts donnés par ces jeunes musiciens parfaitement guidés et déjà des plus aguerris – il fallait l'être tout particulièrement pour la dernière œuvre inscrite au programme du 28 mars.
Le trop rare Maurice Ohana (1913-1992 – 25ème anniversaire de sa disparition), compositeur français d'origine espagnole, y était honoré à travers deux œuvres très dissemblables, séparées dans le temps et, ici même, par des œuvres vocales de la Renaissance espagnole. Sans rien toutefois de typiquement ibérique, au sens d'une « couleur locale », comme les villancicos baroques hispaniques ou sud-américains (à la manière de ¡Salga el torillo! d'un Diego José de Salazar) ont pu en donner l'habitude : Tomás Luis de Victoria et Cristóbal de Morales sont encore enracinés dans le style « international » découlant de l'école franco-flamande, cependant qu'Ohana, d'une contemporanéité aussi puissamment originale que dépourvue de connotation espagnole au sens d'une tradition musicale, affirme à chaque instant une voix singulière, bien qu'ancrée dans le siècle et à l'écoute de ses contemporains, sans s'inspirer directement d'aucun. Mention particulière pour le texte de présentation du concert figurant dans le programme et qui s'en faisait l'écho de manière joliment développée et intéressante : celui-ci est chaque fois confié à un élève du CNSM, en l'occurrence Arthur Prieur, « élève de la classe des métiers de la culture musicale du Conservatoire de Paris », classe de Lucie Kayas.
Dirigé par Émilie Fleury, le Chœur d'enfants ouvre la soirée avec les Quatre chœurs pour voix d'enfants composés par Ohana en 1987. Difficile de faire plus différent d'une page à l'autre, toutes d'une suprême concision, le public restant bouche bée devant la capacité de concentration des maîtrisiens les plus jeunes : de la berceuse asturienne Neige sur les orangers à l'incantation afro-cubaine Mayombé, de l'espagnol aux onomatopées forgées par Ohana, aux voyelles si lumineusement rythmées. La désormais traditionnelle, à Notre-Dame, spatialisation des effectifs (sous la tribune du grand orgue et itinérants) est de nouveau à l'œuvre : Nuées retentit en petits groupes ponctuant les bas-côtés sud et nord, Carillon par le Chœur en travers de la nef. Une entrée en matière frémissante de vie, de souplesse et de discipline.
Henri Chalet (photo) prend ensuite le relai, aux enfants venant s'adjoindre le Jeune Ensemble de la Maîtrise. Cinq pièces de la Renaissance, ordonnées selon un élargissement progressif du nombre de parties vocales – mais la plénitude la plus épanouie dès la toute première : Ave Maria à 4 de Victoria, les chanteurs étant disposés en cercle dans le bas-côté sud, aussitôt suivi d'un Regina Coeli à 5 de Morales, à pleine puissance, et du Congratulamini mihi à 6 de Victoria. Nouvelle disposition, de type cori spezzati à la vénitienne : deux groupes dialoguant depuis les bas-côtés, les auditeurs se trouvant pris entre ce double-feu d'une jubilatoire densité : Ave Regina Caelorum à 8 et Ave Maria à 8 de Victoria. On imagine mentalement une cathédrale noire de monde durant l'office d'une fête majeure dont on percevrait l'apparat musical depuis le parvis – mais ici sans perdre la moindre note ou intention musicale, tout en bénéficiant d'un certain effet de distance particulièrement poétique et prenant.
Audace ? Elle prend la forme des six Cantigas d'Ohana, composées en 1953-1954, soit peu après le fameux Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (1950) ayant lancé avec éclat la carrière d'Ohana compositeur. Ces Cantigas, qui mettent en musique des textes attribués au roi de Castille Alphonse X le Sage, font appel à un ensemble instrumental : aux 26 chanteurs requis – le Jeune Ensemble (dont une mezzo soliste, mais aussi un soprano garçon du Chœur d'enfants) – répondaient ce qu'il faut bien appeler des solistes de l'Orchestre du CNSM, tant les pupitres et parties sont mis en valeur par cette musique d'une extrême exigence (hautbois, bassons, trompettes et trombones par 2, cor anglais, clarinette, trombone basse, percussions, piano). L'œuvre, magnifique, est saisissante de modernité atemporelle et ferait presque penser, à cet égard, au Hindemith si inventif et séduisant des Kammermusiken, cependant que certains moments de puissance et de tension – telle la très impressionnante Cantiga de vela : « Attention, veillez ! » – offrent des échos, par des moyens et une démarche ô combien différents, d'une théâtralisation évoquant le Carl Orff des Carmina. L'économie et presque l'abstraction en plus pour Ohana. L'idée de monter ces Cantigas, gageure absolue et enrichissement de premier ordre du répertoire de la Maîtrise, répond à un rêve devenu réalité d'Henri Chalet. Outre le travail individuel et par groupes, chanteurs et instrumentistes n’ont disposé que de trois répétitions pour parvenir au remarquable résultat offert à un public médusé. Que ne donnerait-on, sachant que la discographie de l'œuvre est des plus réduites, pour que l'enregistrement de cette soirée accomplie rejoigne le catalogue du propre label de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris !
Michel Roubinet
Cathédrale Notre-Dame de Paris, 28 mars 2017
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