Journal
29ème Festival de Colmar – Michel Plasson invité d’honneur
Détonant mariage franco-russe cette saison pour le 29ème Festival de Colmar, dont le directeur artistique, le bouillonnant Vladimir Spivakov, fait de Michel Plasson sa principale vedette en lui laissant le champ libre. On l’en remercie, car le chef, qui régna sur l’Orchestre national du Capitole de Toulouse pendant trente-cinq ans, est un peu le tsar de la musique française. Il y dirigera (le 8 juillet) l’un des chefs-d’œuvre du répertoire, cette Damnation de Faust où brilleront Sophie Koch et Nicolas Courjal, et qui lui permet de clamer son amour pour Berlioz, éternel déchiré que son pays a si mal compris. Après avoir ouvert les festivités sur Dutilleux et Ravel, avec la complicité de son ami François-René Duchâble, autre tsar. On y verra aussi son fils Emmanuel, diriger un concert de l’Orchestre Philharmonique de Russie, formation résidente du festival.
On a toujours connu Plasson vraie pile électrique – votre servante se souvient d’avoir vu sa baguette s’envoler par-dessus les musiciens lors d’un concert à la toulousaine Halle aux Grains – et cela n’a pas changé. Mais s’y ajoute aujourd’hui une sorte de bienveillance souriante, celle d’un homme qui a vécu en accord avec ses passions et se réjouit, en haut de cette montagne de musique qu’il a su vivifier, de pouvoir s’y adonner encore et encore : « elle est, dit-il, ce qui permet la plus grande communion avec les autres, plus que toute autre forme d’art ».
La parole fuse, ardente, volubile, drôle souvent, bourrée d’anecdotes – on imagine le feu d’artifice des échanges avec son ami Spivakov, intarissable –, mais avec des manières charmeuses qu’il n’a pas toujours eues. Et il lance, mi-rieur mi-sérieux : « il est une chose qui ne m’arrivera qu’une fois, c’est d’avoir 84 ans cette année. Je dois me presser et me battre encore, il me reste tant à dire et à faire ! » Lutter par exemple pour cet art du chant français dont les secrets se sont perdus et qu’il faut préserver à tout prix. « Sinon, comment garder au patrimoine mondial la subtilité infinie d’un Pelléas et Mélisande par exemple – là où Debussy est sans doute allé le plus loin –, et pour lequel j’ai aujourd’hui quelques secrets d’interprétation que j’ai mis longtemps à découvrir. Le son doit y venir d’ailleurs, comme pour Dutilleux, que je défends avec passion et dont j’ai récemment dirigé Tout un monde lointain à la Monnaie de Bruxelles, outre la Pénélope de Fauré. »
Photo © Benoit Schmidle
Pour ce, il a fondé dans sa campagnarde gentilhommière entre Béziers et Narbonne, une Académie de musique française, aujourd’hui lyrique, où avec l’aide de quelques mécènes amis et de maîtres incontournables tels José van Dam, et bientôt Nadine Denize, il façonne l’art de jeunes chanteurs qui défendront nos couleurs car, affirme-t-il, « les Français réussissent le mieux sur leur propre territoire musical que sur l’étranger. Il faut avoir la voix de sa culture ! ». On pourra en découvrir une dizaine lors d’un concert à la Chapelle Saint Pierre, dans des extraits d’opéras français.
Plasson a des engagements qui ne sont pas de mode, se moque des mots du jour, et c’est tant mieux : après des débuts en 1965 comme second chef à Metz, il découvre que la musique qu’il sert le plus facilement, est celle de son pays, avec laquelle il ressent un maximum d’affinités. Ce qui plus tard ne lui rendra pas la tâche facile lors de son engagement à Dresde (1994-2001), si profondément germanique, à la tête de l’Orchestre Philharmonique. De Toulouse où de 1968 à 2003, il fit de l’Orchestre du Capitole la formidable phalange que l’on sait, il se dit sursaturé : mais quelle aventure dont d’illustres délaissés, tels Magnard ou Ropartz, sont sortis enfin revigorés !
Et que de pièces maîtresses du grand répertoire sur lesquelles il a laissé sa marque : ainsi ce mémorable Werther à l’Opéra de Paris avec Jonas Kaufmann, Sophie Koch et Ludovic Tézier, inoubliable version du chef-d’œuvre de Massenet dont ont conserve heureusement la trace (1). Car assure-t-il, « quand le chef ne connaît pas la langue de l’œuvre qu’il dirige, il ne rend pas la vie facile aux chanteurs. Et je crains bien que la France n’ait perdu son âme musicale dans sa fascination pour les autres cultures ».
Français, il a dit français, certes : mais que ses yeux brillent quand il évoque les géants qu’il a pu côtoyer, les Karajan, les Sawallisch, les Liebermann, avec lequel il entretint une profonde amitié, ou encore Kleiber dont le Chevalier à la rose lui a laissé un souvenir indescriptible : « par touches délicates, comme Federer au tennis » ! Mais lui-même, ne fut il pas l’un des plus grands chefs wagnériens français ? Son Parsifal, en mars 1987 à la Halle aux Grains, mis en scène par un autre géant, Jean-Pierre Ponnelle, a laissé une trace de feu dans les mémoires. Jamais de contresens chez cet amoureux insatisfait, mais que de contrastes, toujours en quête du son perdu.
Jacqueline Thuilleux
(Entretien avec Michel Plasson réalisé le 23 mai 2017)
(1) 2 DVD Decca / Opéra de Paris 0440 074 3406 2
29e Festival de Colmar, du 5 au 14 juillet 2017
www.festival-colmar.com
Concerts de Michel Plasson, les 5 et 8 juillet, Eglise Saint-Matthieu, d’Emmanuel Plasson, le 7 juillet, Eglise Saint-Matthieu. Chanteurs de l’Académie de Chant Michel Plasson, Chapelle Saint-Pierre, le 11 juillet.
Photo © Patrice Nin
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