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200 Motels de Zappa à la Philharmonie - Le génie du désordre - Compte-rendu
200 Motels est à l’origine un projet de film conçu par Frank Zappa et réalisé par Tony Palmer, que l’on peut voir comme la transposition à l’image de l’univers sonore du compositeur : d’abord car il y est question, de façon très autobiographique, des vicissitudes de la vie en tournée d’un groupe de rock, ensuite et surtout parce que les effets visuels créent une image composite, complexe et bordélique à la fois, en résonance parfaite avec la bande son. La version scénique préparée par Antoine Gindt, si elle suit d’assez près la trame originale du film, lui confère davantage de cohérence narrative. La grande réussite du metteur en scène est de faire vivre à la fois le plateau, où les protagonistes (chanteurs, acteurs, musiciens de l’orchestre et du rock band, caméramans) entrent en collision permanente, et l’écran qui le surplombe. Réalisé en direct par Philippe Béziat, le film qui y est projeté construit sa propre vision de l’intrigue en allant chercher des plans qui donnent sens à ce qui se passe – confusément – sur scène. Le parallèle avec la musique composite de Zappa fonctionne ici parfaitement.
Excellent à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Léo Warynski fait de la masse orchestrale le soubassement de toute l’œuvre, à la fois dans une exploitation bruitiste et dans les moments (ouverture et finale notamment) où l’écriture respecte davantage les codes de la musique symphonique, avec une pompe toute anglo-saxonne assez ironique. Surtout, lors de quelques interludes, il souligne à quel point la musique de Frank Zappa est marquée par celle d’Edgar Varèse : les percussions d’Ionisation, les blocs sonores de l’orchestre d’Amériques sont bien là, de même que les échos de l’École de Vienne ou les expérimentations vocales du sérialisme (la cantate La Gazelle plissée, délicieusement moqueuse, chantée par la soprano Mélanie Boisvert). Précise et énergique, la direction de Léo Warynski crée un bel équilibre entre l’orchestre et les autres musiciens. Le rock band The Headshakers, à qui revient la lourde tâche de reprendre le rôle des Mothers of Invention, le groupe virtuose et déjanté de Frank Zappa, est entré prudemment avant de progressivement mêler ses sonorités rock à celles de l’orchestre.
Aucune hésitation en revanche pour Lionel Peintre, aussi bluffant comme acteur (il est ici un véritable maître de cérémonie) que comme chanteur country et trash (Lonesome Cowboy Burt) ou pour Dominic Gould, acteur caméléon, qui prend les traits de Frank Zappa (comme le faisait Ringo Starr dans le film de 1971), et conduit la trame narrative du spectacle. Les solistes sont d’ailleurs tous particulièrement bien choisis : comme la basse Nicholas Isherwood, les ténors Zachary Wilder et Nicholas Scott sont bien loins des rôles qu’ils ont travaillé au sein du Jardin des Voix de William Christie ; les jeunes Aliénor Feix (mezzo) et Marina Ruiz (soprano) montrent également un bel engagement vocal et scénique – et on pourrait en dire autant de l’ensemble vocal Les Métaboles. C’est un peu la leçon de l’œuvre de Zappa : la dérision est un art qui implique l’excellence.
Jean-Guillaume Lebrun
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