Journal
Caterina Cornaro de Donizetti au Festival de Radio France Montpellier - Du rififi à Chypre
Dernier opéra représenté de Donizetti (bien qu'entrepris avant Don Pasquale), Caterina Cornaro essuya un échec cuisant, lors de sa création à Naples, le 6 février 1844. L'auteur ne le jugeait cependant pas "inférieur à ses autres (ouvrages)", qui connurent tous une gestation plus rapide. A qui/quoi attribuer ce fiasco ? D'abord au livret en deux actes et un prologue, lointainement inspiré de La Reine de Chypre d'Halévy mais qui ne parvient, ni à cristalliser une véritable intrigue, ni, surtout, à transcender une succession grotesque de scènes convenues (chacun des trois protagonistes masculins surprend les autres au moment le plus inopportun en bramant "coucou, me voilà !").
En outre, Donizetti ne cherche pas à passer outre les conventions du genre séria que Verdi, la même année, fait exploser dans Ernani, notamment dans les airs et finales, assez plats - exceptons-en les romances d'ascendance française de Lusignano et l'étonnante cabalette/appel aux armes qui termine la pièce. En revanche le compositeur a soigné l'instrumentation d'une oeuvre d'abord conçue pour Vienne (comme la délicieuse Linda di Chamounix qui la précède), notamment au cours du belliqueux acte III, avec son étonnante prière accompagnée par les cors et son air de ténor richement orchestré, peaufiné les transitions, travaillé les nombreux choeurs (même les inévitables sicaires, gondoliers et demoiselles d'honneur ont droit à de savantes harmonies, tandis que la bataille esquisse une fugue !) et parfaitement réussi, à son habitude, les trois grands duos principaux.
© Luc Jennepin
C'est sans doute à ces passages que l'on doit attribuer l'enthousiasme du public de Montpellier car, hélas, l'interprétation nous a laissé de glace...
Il faut sans doute en rendre d'abord responsable la direction brutale, carrée, primitive de Paolo Carignani qui, s'il ne laisse pas retomber la tension dramatique, confond trop souvent Donizetti avec Offenbach - ce que s'empresse de faire aussi l'Orchestre national Montpellier Languedoc Roussillon (en revanche, le chœur de même appellation - renforcé du Chœur de la Radio Lettone - se tient plutôt bien). Ecrasés par ce maelström sonore, les chanteurs (dont deux, la soprano et le ténor, remplaçaient les interprètes prévus) n'ont pas donné le meilleur d'eux-mêmes.
En ce qui concerne la technique vocale, les premiers rôles masculins laissent mal augurer de la nouvelle école de chant italien : ténor (Enea Scala, suppléant d'Ivan Magri dans le rôle de Gerardo) "ténorisant" dans le plus mauvais sens du terme, étranglant ses aigus ou les plaçant "en arrière", en les accompagnant des inévitables sanglots, à la façon d'un Neil Shicoff des mauvais jours ; baryton (Franco Vassallo, Lusignano) à l'émission étrange, droite et coincée dans le pharynx... Bien qu'ils viennent vaillamment à bout de rôles assez tendus, aucun d'eux n'offre un vrai bonheur d'écoute et l'on en vient à trouver les sonorités émises par l'affreux traître Mocenigo (l'efficace basse François Lis) beaucoup plus séduisantes...
Dans le rôle-titre, Maria Pia Piscitelli nous a sans doute épargné les outrages à la partition que Iano Tamar (annoncée) n'aurait pas manqué de nous imposer, à ce stade de sa carrière. Avec sa voix sombre et bien conduite, elle affronte de façon très professionnelle un rôle ambigu, qui débute de façon élégiaque et finit sur des accents dignes d'Odabella ou d'Abigaille ; mais le timbre est trop monochrome et la diction trop couverte pour effacer les souvenirs laissés par Caballé ou Gencer dans les mêmes airs.
Si l'on ajoute qu'à l'exception du Chevalier de Franck Bard (ténor) les parties secondaires s'avèrent en méforme, on conclut que la soirée n'était pas la plus mémorable que nous ayons passée au sein d'un festival qui nous est pourtant toujours aussi cher...
Olivier Rouvière
Donizetti : Caterina Cornaro (version de concert) – Montpellier, Opéra Berlioz - Le Corum, 22 juillet 2014
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