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Compte-rendu : Festival Musica - Séduisantes musiques contemporaines
Musica porte la jeune création sur le devant de la scène. On ne saurait en blâmer le festival strasbourgeois, qui en cela joue pleinement son rôle d’espace de découvertes. Cependant, si le risque était beau de confier l’ouverture du festival à un jeune compositeur novice dans l’écriture symphonique, le résultat n’a pas été entièrement satisfaisant. Pourtant, l’écriture d’Oscar Bianchi(photo) ne manque pas d’attraits. Très virtuose, comme l’ont montré les deux œuvres de 2008 interprétées par l’ensemble Remix (Tansparente II et surtout Anahata Concerto), elle montre surtout une maîtrise spectaculaire dans le maniement des timbres qui vient colorer les rythmes d’ostinato tourbillonnants qu’affectionne ce jeune compositeur, né à Milan en 1975. Dans Ajna Concerto, qui ouvrait le concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France, ces qualités sont déployées à l’échelle de l’orchestre. La première moitié du quart d’heure que dure l’œuvre, d’une opulence sonore toute stravinskienne, est plus que séduisante mais, adepte des « fausses sorties», Oscar Bianchi ne retrouve plus par la suite ni les idées ni l’énergie qu’il avait d’abord affichées.
Le risque est moindre, bien sûr, à programmer quelque compositeur davantage établi, surtout quand il s’agit d’une figure majeure de la musique contemporaine comme Peter Eötvös (né en 1944). Avant la première française de son opéra Love and other demons à l’Opéra du Rhin, le compositeur hongrois avait les honneurs du concert inaugural, au côté donc d’Oscar Bianchi. Son Atlantis, composé en 1995, grande fresque orchestrale avec solistes (le baryton Christian Miedl et Antoine Erguy, membre de la Maîtrise de Radio France) inspirée par un poème du grand Sándor Weöres (1913-1989), était présenté dans sa « version définitive ». L’œuvre convoque toute la puissance du grand orchestre, mais en le sculptant avec une finesse et une invention fascinantes : la masse orchestrale est parcourue d’un mystère poétique porté par le cymbalum, la harpe, la guitare électrique, les percussions ou encore les cordes, placées au fond de l’orchestre, qui apportent une respiration très bartokienne chaque fois que la musique menace de s’enfoncer dans le pathos. Et la partie vocale, mêlant la voix d’enfant à celle du baryton, est une nouvelle preuve de l’excellence du compositeur dans le domaine lyrique.
A la tête du Philharmonique de Radio France, Pascal Rophé a confirmé une nouvelle fois qu’il est bien l’un des meilleurs chefs pour le répertoire symphonique contemporain : aucune faiblesse, aucune approximation dans une œuvre pourtant foisonnante et longue de près de trois quarts d’heure. Sous sa direction, l’orchestre trouve des couleurs qu’on ne croyait appartenir qu’aux ensembles spécialisés : qu’il s’agisse des timbres de Bianchi ou de la pâte orchestrale d’Eötvös, il sert à merveille le langage des compositeurs d’aujourd’hui.
L’excellence des interprètes est d’ailleurs l’une des raisons du succès du festival, devenu depuis longtemps rendez-vous incontournable de la création. La confiance du public s’est manifestée, comme l’an dernier, lors de la journée « portes ouvertes » à la Cité de la musique et de la danse qui concluait le week-end : occasion pour de jeunes interprètes de se rôder dans des programmes exigeants (ainsi le guitariste Romain Fargeas, 30 ans, impressionnant dans Tellur de Tristan Murail ou l’hyper-virtuose Shard d’Elliott Carter) ou pour de plus aguerris de proposer des moments musicaux insolites (dégustation et improvisations sur des grands crus d’Alsace par Bruno Mantovani, exploration du répertoire contemporain pour trombone – de Berio à Zappa – par le fantasque Uwe Dierksen, de l’Ensemble Modern). Le soir même, la Cité de la musique et de la danse accueillait le Vienna Vegetable Orchestra à guichets fermés : spectaculaire et ludique, ce concert sur instruments « entièrement fabriqués à partir de légumes frais » (et soumis à un intelligent et soigneux travail d’amplification), peut être une bonne introduction aux expérimentations sonores des xxe et xxie siècles ; mais l’on ne peut manquer de remarquer qu’un tel enthousiasme populaire ne se retrouve guère à l’occasion des autres concerts, plus conventionnels, de Musica. La bataille du public n’est peut-être pas encore gagnée.
Jean-Guillaume Lebrun
Strasbourg, les 24, 25 et 26 septembre 2010.
Le Festival Musica se poursuit jusqu’au 9 octobre avec notamment un dernier week-end largement consacré au compositeur Bernd Alois Zimmermann.
Infos : www.festivalmusica.org
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