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Compte-rendu : Le piège Courteline - Les Boulingrin de Georges Aperghis à l’Opéra Comique
Le compositeur Georges Aperghis et Jérôme Deschamps, le directeur de l’Opéra Comique, qui s’étaient rencontrés auprès d’Antoine Vitez, se connaissent depuis une trentaine d’années mais n’avaient jamais travaillé ensemble. Les Boulingrin, courte et féroce farce de Georges Courteline, est le point de départ d’un travail que l’on devine mené en commun par le compositeur et le metteur en scène.
Georges Aperghis est connu pour son travail dans le domaine du théâtre musical, où la voix – chantée et parlée – et la musique sont en résonance avec le texte, le geste, la scénographie. Dans une œuvre comme Die Hamletmaschine (2001), la musique englobe, malaxe le texte de Heiner Müller ; plus que jamais, Georges Aperghis y emploie le support textuel comme un matériau de construction sonore. Dans une autre œuvre attachante, Strasbourg Instantanés (1997-98), qu’il avait montée lors de sa résidence au Conservatoire de Strasbourg avec de jeunes musiciens et des élèves de l’École supérieure d’art dramatique du Théâtre national, le texte parlé devenait lui-même porteur de musique, fondant en une merveilleuse ambiguïté composition discrète et prosodie naturelle.
Présenté comme opéra-bouffe, Les Boulingrin créés à l’Opéra-Comique relèvent en fait davantage du théâtre musical voire de la conversation en musique. Dès le prélude, la musique de Georges Aperghis impose son déroulement perpétuel mené par le piano et l’accordéon, qui fait écho au rythme de cette pièce écrite pour le Grand-Guignol. Le personnage de Des Rillettes, entré sans y prendre garde dans la bacchanale quelque peu sadique de ce couple qui implose, se trouve rapidement prisonnier d’un véritable cauchemar domestique. Malheureusement, le compositeur se trouve lui aussi pris au piège d’un texte qui lui dicte son rythme.
Certes, Georges Aperghis a su tirer le parti musical des cris et ahanements du héros malmené (et Lionel Peintre est ici époustouflant) ou d’une partie de percussion qui tient davantage de la batterie de cuisine. D’une manière générale, ses personnages trouvent aisément leur personnalité vocale, à commencer par celui de Félicie, la bonne, soprano suraiguë aux lignes de chant déboussolées, où Donatienne Michel-Dansac fait merveille, tout comme Doris Lamprecht et Jean-Sébastien Bou pour le couple Boulingrin. Mais le flot musical des douze instrumentistes de Klangforum – présents sur scène, encagés sur trois étages dans l’immeuble même des Boulingrin – semble se dérober sous les mots. Seuls deux moments marquent véritablement une rupture : lorsque le couple Boulingrin, à la scène 3, se lance des volées d’insultes inusitées – la musique redouble alors les allitérations du texte – puis au moment du paroxysme final.
La musique, finalement, alourdit, ralentit plus l’action dramatique qu’elle ne la renforce. D’intonations trop peu variées, elle ne parvient ni à accompagner ni à contraster avec la mise en scène, volontairement appuyée de Jérôme Deschamps. Le directeur de l’Opéra Comique prend le parti de la comédie cruelle et fait s’agiter et se déhancher ses personnages tels des pantins et s’efforce par moments de prendre appui sur la musique. Même les quelques grosses ficelles sont dans le ton : comme dans la production des Brigands d’Offenbach que Jérôme Deschamps avait signée en 1992 (et que l’Opéra Comique reprendra la saison prochaine), le chef – Jean Deroyer – fait une entrée fracassante, traversant la salle avant de rejoindre la fosse (vide ; les musiciens sont sur scène) ; dans la scène finale, les meubles tombent des cintres et un feu de joie du plus bel effet embrase l’édifice. Il reste malgré tout une impression d’inachevé, que le théâtre, cette fois peine à s’accorder avec la musique.
Jean-Guillaume Lebrun
Aperghis : Les Boulingrin – Paris, Opéra Comique, mercredi 12 mai 2010
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Photo : DR
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