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​Concert participatif autour de John Cage par les pianistes de l’EIC – Cage à tout âge – Compte-rendu

Où commence la musique, où s’arrête donc le bruit ? C’est l’une des questions que permet de poser l’œuvre de John Cage (1912-1992). C’est aussi celle que se pose le public à son entrée dans le Studio de la Philharmonie. Le concert a-t-il déjà commencé ? Sur scène, Clément Lebrun s’affaire autour d’objets divers – en métal, en plastique, papiers, jeux de dés, vaisselle… – dont il tire des sons et déjà, pourquoi pas ?, des rythmes. Dimitri Vassilakis et Hidéki Nagano, les excellents pianistes de l’Ensemble Intercontemporain, ont délaissé les pianos et autres étranges claviers qui entourent la scène pour se livrer, très concentrés, à une partie d’échecs. Le bruit des pièces sur l’échiquier, que l’on entend en tendant l’oreille ou en leur tendant un micro, est-il une musique ? Ou est-ce le silence des pianos qui en est une (ou une promesse) ?
 

© Anne-Elise Grosbois

Dimitri Vassilakis se lève, va rejoindre un piano à queue en fond de scène, tandis qu’en un ballet bien réglé, Clément Lebrun prend sa place à la table de jeu. Il joue. C’est de la musique. In a landscape (1948) de Cage, qui déroule ses vagues hypnotiques toutes pédales enfoncées, est à la fois du pur piano et autre chose. Et quand Hidéki Nagano interprète la Sonate n° 5 pour piano préparé, les gestes sont ceux d’un pianiste virtuose, mais les sons nous portent ailleurs. Clément Lebrun filme en direct l’intérieur du piano, le mouvement des marteaux, les objets intercalés entre les cordes : « Cage note très précisément leur disposition, souligne le musicologue, mais ça ne sonne jamais pareil ».
 

Dimitri Vassilakis © Anne-Elise Grosbois
 
Le sérieux dans la fantaisie
 
Le hasard, l’indéterminé, la surprise. Tout cela nécessite une approche très sérieuse – illustrée par la Radio Music et ses indications de temps très pointilleuses (la partition est projetée en direct) : « 5’4525 : transférer de l’eau d’un récipient à un autre ». C’est un peu de cette idée qui est transmise au public, qui a tiré au sort, en entrant dans la salle, une action à effectuer durant le concert (par exemple « se lever et se rasseoir à 36’05 »), créant un effet sonore et visuel plus ou moins flagrant. Les enfants se montrent en particulier très concentrés sur la ponctualité de leur intervention. Très sérieuses aussi les interprétations de deux « héritières » de Cage : Rainy Days (2019) d’Hilda Paredes, duo endiablé pour pianos jouets (toy pianos) ou East Broadway (1996), pour piano jouet et sons électroniques low cost.
 

Pierre-Laurent Aimard © DR
 
Hasard ou belle idée de la programmation, la Cité de la musique voisine accueillait l’après-midi un récital de Pierre-Laurent Aimard, interprétant sur différents pianos disposés sur scène, au milieu du parterre ou dans les gradins, un florilège de danses de Schubert – ländler et valses – articulé à des pages tirés des Jeux (Játékok) de György Kurtág et quelques pièces de Mozart (Andante pour orgue mécanique), Schoenberg (op. 19) et surtout des Variations op. 27 de Webern captivantes, jouées sur un piano droit au milieu de la salle. Quand Pierre-Laurent Aimard se déplace entre deux pianos, le piano automatique (Yamaha Disklavier) en fond de scène prend le relais. Est-ce encore un concert ? Rien que susciter cette interrogation aurait sans doute plu à John Cage.
 
Jean-Guillaume Lebrun

 

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Paris, Philharmonie et Cité de la musique, le 13 octobre 2024.
 
Photo © Anne-Elise Grosbois

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