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Création des Sentinelles de Clara Olivares à l’Opéra de Bordeaux – Tout bonheur absent – Compte-rendu
La promesse d’un nouvel opéra est toujours une chance, celle en particulier de porter sur notre monde contemporain le regard que permet l’art lyrique, avec sa singulière conjonction du texte, de la musique et de la scène. La collaboration étroite, au long cours, de la compositrice Clara Olivares (née en 1993) et de la librettiste Chloé Lechat (née en 1984) sur ce projet des Sentinelles ne pouvait que renforcer l’attente autour d’une œuvre qui, en embrassant la vie quotidienne à travers ce qu’elle a de plus intime – les relations au sein du couple et de la mère à l’enfant –, se dégageait un terrain idéal pour une lecture lyrique du monde assumant sa modernité. À près d’un siècle de distance, Schoenberg n’avait pas fait autre chose avec Von heute auf morgen (D’aujourd’hui à demain).
© Frédéric Desmesure
Les premières minutes des Sentinelles vont dans ce sens d’une musicalité prête à se réinventer pour à la fois coller à notre temps et le mettre à distance. Les sons étouffés, presque bruitistes, du prélude orchestral, venant se mêler aux bruits de verre brisé ramassé sur scène, le chant de la soprano (Camille Schnoor, dans le rôle de « C », première à apparaître) qui se cherche et même se suspend quand elle lâche, en voix parlée, articulée au microphone, « C’est la crise ! » : voilà des idées qui pourraient servir une musique à l’affût des failles du monde, comme le feraient les changements de costumes à vue des protagonistes (Sylvie Martin-Hyszka utilise à plein l’économie circulaire d’une production « zéro achat »).
De belles idées, trop vite abandonnées
Le rideau se lève. Acte I, scène 1 : un écran se déploie au-dessus du salon vide qui occupe le plateau. On entend le dialogue enregistré d’une enfant, dessinée en images de synthèse, à la manière d’un animé, et de son thérapeute (dont on n’entendra que la voix, non créditée, la seule voix masculine du spectacle). La musique vient colorer, zébrer la voix de l’enfant tandis que d’autres images emplissent l’écran. Belle idée, puisque l’enfant (« E ») s’incarnera deux scènes plus tard, jouée par la comédienne Noémie Develay-Ressiguier, pour donner la réplique – parlée – aux effusions – chantées – de sa mère (« A », la soprano Anne-Catherine Gillet). Cette troisième scène est celle où dispositif scénique se dévoile : côté jardin, l’appartement d’ « A » et « E », côté cour celui de « C » et « B » (la mezzo Sylvie Brunet-Grupposo), en mal d’amour. Il est dès lors bien compris que ces chants simultanés vont finir par converger dans un même espace. On peut alors espérer une vision musicalement subtile de la recomposition difficile des relations entre les trois femmes et l’enfant – qui, on l’a vite compris, mènera inéluctablement au sacrifice de celle-ci.
© Frédéric Desmesure
L’opéra a dû atteindre sa dixième minute et il a hélas épuisé toute sa capacité d’invention. Clara Olivares ne semble savoir que faire vocalement de ses personnages, il est vrai piégés par un texte qui tourne en rond ; il y avait pourtant là aussi de la matière, avec, par exemple la dimension animale invoquée tant par la mère que par l’enfant. Les lignes vocales ne se dégagent guère d’un même moule qui les conduisent presque systématiquement d’un élan laborieux à un quasi parlando navrant. Ou au contraire elles déversent un lyrisme caricatural hors de propos (grand air de « A » à la deuxième scène de l’acte II). Ce qui créait de la tension (alternance des scènes de thérapie, parlées et virtualisées sur l’écran, et des scènes lyriques) devient un maniérisme répétitif.
Les interludes orchestraux séparant les scènes prenaient en charge au début de l’opéra les ellipses, mais là encore leur caractère répétitif, leur abus des facilités de l’ostinato et la perte complète de direction dans celui, interminable, qui relie les deux actes agacent de plus en plus à mesure qu’ils ne répondent plus à une nécessité narrative.
Si les solistes semblent se donner à plein pour faire exister leur personnage malgré la faible direction d’acteurs proposée par Chloé Lechat, il est difficile de juger de l’apport de la cheffe Lucie Leguay à la tête de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine dans une musique terne et figée, sans caractère, où l’orchestre ou ses solistes ne font le plus souvent qu’accompagner la ligne vocale.
Dans Von heute auf morgen, Schoenberg laissait le dernier mot à l’enfant : « Maman, c’est quoi, des gens modernes ? ». Dans Les Sentinelles, l’enfant disparaît avant la fin : une habile façon de ne pas se poser la question.
Jean-Guillaume Lebrun
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Clara Olivares : Les Sentinelles (création mondiale) – Bordeaux, Grand Théâtre, 10 novembre ; prochaines représentations les 12 et 14 novembre à 20h. Reprise à l’Opéra de Limoges les 22 et 24 janvier, à l’Opéra-Comique à Paris les 10, 11 et 13 avril 2025 // www.opera-bordeaux.com/opera-les-sentinelles-54172#a-propos
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