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Des pétales dans la bouche de Laurent Cuniot - Chant perdu - Compte-rendu
Le compositeur et chef d'orchestre Laurent Cuniot livre son premier opéra, Des pétales dans la bouche, sur un livret de Maryline Desbiolles, un monodrame « qui met en scène une femme aux prises avec sa voix perdue ».
Pour Laurent Cuniot, le choix d'un « opéra à une voix » « permet de réunir la musique et la poésie au cœur même d'une dramaturgie ». Incidemment, il permet également au compositeur d'échapper à la tentation de la conversation en musique, qui souvent conduit à reproduire le récitatif debussyste. L'écueil en revanche peut être celui d'un opéra non pas sans drame mais statique, sans action. Et de fait, Des pétales dans la bouche laissent peu de prise à la mise en scène, dont Philippe Mercier se tire par l'abstraction : une table immense qui barre l'espace scénique.
Il faut donc que l'action soit dans les sons : dans les mots et dans la musique elle-même. Laurent Cuniot y réussit à merveille. Le prologue en est un parfait exemple. Seule en scène, l'altiste Geneviève Strosser, préfigure l'œuvre en faisant entendre sur son instrument toutes les différentes façons de lancer la voix ; dans la fosse, l'ensemble TM+ lui apporte un soutien très discret, de furtives résonances.
Chaque scène possède sa couleur – même si clairement les vents ici dominent – et la musique de Laurent Cuniot vient entourer les mots de la chanteuse, donner de la chair à cette voix « perdue » – qui ne retrouve ni sa puissance, ni sa couleur. La musique en quelque sorte extériorise autant qu’elle exorcise le chant impossible de l’héroïne.
Ce n’est qu’à la dernière scène que la voix se retrouve, dans la rencontre d’un chant populaire, quelque part en Italie. Jusqu’alors, elle est essentiellement cantonnée à une sorte de Sprechgesang par le sujet même du livret mais aussi peut-être par son écriture. Maryline Desbiolles a souvent dans ses livres le goût d’incorporer, en pétrissant les mots, la réalité quotidienne à une langue poétique et réfléchie. C’est le cas en particulier dans son roman Anchise (prix Fémina en 1999). Le livret de l’opéra tire davantage vers le monologue intérieur. Les lieux de chaque scène (l’arrière d’un taxi, la salle d’un café bondé, le lit – presque un tombeau –, la campagne de l’enfance…) y sont surtout d’évocation ; le personnage ne semble pas s’en imprégner tant que ça – si ce n’est l’Italie, lieu final de la révélation et du retour du (ou au) chant. Surtout, si l’on comprend bien qu’elle a perdu sa voix, et s’est perdue tout de même – l’hésitation à parler d’elle-même en témoigne, se désignant tour à tour comme « je », « tu », « elle », « vous », on ne voit guère l’héroïne rechercher véritablement cette voix.
Souvent ? chez l’auteure, les héroïnes agissent – mécaniquement peut-être – alors qu’elles se souviennent (telle la narratrice de La Seiche, préparant le repas de ses convives). Ici, la chanteuse ne fait guère que se déplacer, elle n’habite pas les lieux. Du coup, l’idée du livret, qui était bonne, tarde à se délivrer de cette non-quête, retient trop la voix et bride le chant et les qualités expressives de Sylvia Vadimova, l’unique interprète, qui ne retrouve un chant plus opulent qu’à la fin de l’œuvre, en même temps que son personnage. Difficile dans ces conditions de juger de l’interprétation par la chanteuse de ce personnage qui refuse de chanter. Pour les musiciens de TM+, en revanche, ils rendent plus que justice à la musique remarquablement expressive de Laurent Cuniot.
Jean-Guillaume Lebrun
Laurent Cuniot : Des pétales dans la bouche (création) – Nanterre, Maison de la musique, mercredi 18 mai 2011
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Photo : DR
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