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Dialogues des Carmélites à Toulon - A l'ombre du Kremlin - Compte-rendu
Voici cinquante ans que s'est éteint Poulenc - "moine et voyou", selon la formule de Claude Rostand. Réjouissons-nous : cet anniversaire ne passe pas inaperçu puisqu'au moins deux nouvelles productions de son principal ouvrage scénique voient le jour dans l'Hexagone. Avant Bordeaux, c'est Toulon qui ouvre le ban, avec, dans sa manche, l'atout de deux grands aînés : le chef Serge Baudo (qui a connu Poulenc) et la mezzo Nadine Denize, respectivement quatre-vingt-cinq et soixante-dix ans. La direction assez crépusculaire, parfois somnolente, de Baudo laisse d'abord perplexe - tempi retenus, refus de l'effet "puccinien", articulation presque germanique. Mais cette lecture aux phrasés charnus, aux rythmes galbés finit par générer la même fascination que les frustes icônes byzantines, accentuant la rugosité quasi slave de ces Dialogues, qui avouent leur dette à l'égard de Moussorgski. Cheveux ras, corps empesé, visage buriné, Nadine Denize, pareillement, campe une Madame de Croissy ayant renoncé à toute séduction - notamment vocale (le médium a totalement disparu). Mais l'incarnation scénique, en dépit (ou à cause) de sa simplicité, fascine : qu'elle laisse retomber une main lasse ou se dresse à demi sur sa couche, Denize est, incontestablement, cette Première Prieure luttant bec et ongles contre la mort.
Dommage que le dispositif scénique de Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qui se veut austère mais n'est que très moche, tourne si résolument le dos à toute transcendance. On comprend la volonté de prosaïsme (costumes contemporains, parois de contreplaqué, vitrines de plexiglas enfermant les meubles XVIIIe du Marquis de la Force), conciliant économie et discrétion idéologique. Mais de l'épuration à l'esthétique de supermarché, il n'y a qu'un pas... Le dénouement - un cadeau, pourtant, pour n'importe quel scénographe ! - apparaît singulièrement raté : des néons dessinant le mot "mort" s'allument peu à peu alors que, sous le tranchant de la guillotine, s'affaissent les Carmélites - ni lisible, ni abstrait, le procédé tombe à plat. Reste une direction d'acteurs souvent très fine, tout en demi-teintes, qui culmine dans une fascinante scène du parloir.
Il faut dire que les interprètes jouent le jeu avec panache. En dépit d'un vibratello un peu gênant et d'une certaine propension à couvrir le son, Ermonela Jaho, soprano albanaise entendue notamment en Traviata (Berlin, Lyon) et en Thaïs (à Toulon même) incarne une Blanche sensuelle, embrasée, dont le sort est loin d'être joué d'avance - et dont la diction française apparaît désormais probante. Sa voix de spinto contraste idéalement avec celle, un peu droite mais radieuse, de Virginie Pochon (Constance toujours juste, pas bécasse pour un sou) et celle, mate, retenue, d'une magnifique égalité, de Sophie Fournier (qui transcende le rôle ingrat de Mère Marie en y esquivant l'outrance). Seule déception : la Madame Lidoine grinçante, peu compréhensible et à l'émission pharyngée de la vaillante Angeles Blancas Gulin.
S'il faut aussi oublier la prestation des choristes de Toulon dans quelques petits rôles, on suivra avec intérêt le charmant ténor Stanislas de Barbeyrac (Chevalier encore trop vert au premier acte) et on applaudit l'impeccable Marquis de Laurent Alvaro comme les deux truculents Commissaires (Thomas Morris, Philippe Ermelier). L'Orchestre de l'Opéra de Toulon (dont une partie a investi les loges jouxtant la scène) n'est toujours pas l'un des plus beaux de France, mais, à l'Acte III, ses bois, choyés par le chef, trouvent d'étonnants accents. En somme, une version parfois aride mais qui ne sombre jamais dans la facilité et sait magnifier la prose entêtante, châtiée, fulgurante du scénario de Bernanos.
Olivier Rouvière
Poulenc : Dialogues des Carmélites – Toulon, Opéra, 29 janvier 2013
Site de l’Opéra de Toulon : www.operadetoulon.fr
Une exposition photo d’Olivier Pastor sur les coulisses de l’Opéra de Toulon se tiendra du 15 février au 13 avril 2013 à la Maison de la Photographie de Toulon (du mardi au samedi, de 12h à 18h, entrée gratuite).
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Photo : Frédéric Stéfan
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