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Elisabetta, Regina d’Inghilterra de Rossini en version de concert à l'Opéra de Marseille – God save Karine ! – Compte-rendu
Sacré Gioachino ! Compositeur et roi du recyclage, il a pioché dans ses précédents ouvrages lyriques pour construire son Elisabetta (1815), partition qui marqua le début – triomphal – de sa résidence au San Carlo de Naples. Des plages musicales plus ou moins retravaillées comme l’ouverture, quasi à l’identique, de son Aureliano in Palmira qui après avoir servi la reine, deviendra celle du Barbier de Séville assurant ainsi sa place de choix parmi les tubes de l’histoire de la musique. A l’heure de programmer pour la première fois à Marseille l’opéra séria en deux actes de Rossini en version concertante, Maurice Xiberras, le directeur général de la maison, était bien loin de se douter que, quelques jours avant la première représentation, le monde aurait rendu hommage à la deuxième, dans l’ordre du règne, Elisabeth d’Angleterre, dont le couronnement avait été salué en 1953 à Milan par l'exhumation de cette œuvre à la RAI
Karine Deshayes (Elisabetta) & Ruzil Gatin (Norfolk) © Christian Dresse
A Pesaro, il y a un peu plus d’un an, Karine Deshayes (photo) prenait avec bonheur le rôle royal. Pour la première marseillaise de l’œuvre qui d’autre qu’elle, fort appréciée du côté du Vieux-Port, pouvait affronter les difficultés de ce marathon vocal ? « J’aime Rossini » confie la mezzo-soprano en interview ; tant mieux car c’est par amour de « la » Colbran, prima donna et maîtresse qu’il allait épouser sept ans plus tard, que le maestrissimo a composé cette Elisabetta ; et si comme dit l'adage « qui aime bien châtie bien », il faut croire qu’il aimait beaucoup sa belle ! De l’amour, donc, il en faut, du talent et de l’assurance aussi, pour triompher des pièges, dominer une partie qui se promène de haut en bas et de bas en haut de la tessiture et donner de la chair et du cœur, même en version concertante, à cette reine vainement énamourée, femme avant tout, qui passera de la jalousie violente à la clémence rayonnante.
Giuliana Gianfaldoni (Matilda) © Christian Dresse
S’appuyant sur sa solide expérience – elle fête ses 25 ans de carrière dans quelques jours salle Favart à Paris (1) – et sur une technique éprouvée, Karine Deshayes devient Elisabetta avec aisance. La voix est puissante et souple, ronde et précise dans les graves et tendue dans les aigus vertigineux voulus par Rossini. Comme elle le dit souvent, elle « chante avec sa voix » ; une voix humaine, sensible, et qui sait donner au drame sa puissance émotionnelle. Reine à Pesaro et reine à Marseille : God save Karine !
Il incombait à Giuliana Gianfaldoni de chanter la partie réservée à Matilda, ce que la soprano a fait avec élégance et grande finesse. La ligne est belle, la voix bien projetée et l’ornementation soignée. Son duo avec Karine Deshayes « non bastan, quelle lagrima » fut fort apprécié, au demeurant comme tous les ensembles servis avec couleur et précision par les solistes.
Ruzil Gatin (Norfolk) & Julien Dran (Leicester) © Christian Dresse
Chez les hommes, le duel des ténors a bien eu lieu entre le Leicester de Julien Dran et le Norfolk de Ruzil Gatin. Julien Dran qui nous a semblé être sur la réserve et en équilibre sur un fil tout au long de la représentation. Il est vrai que le rôle du commandant des armées ne fait pas dans la simplicité et enchaîne les difficultés. On lui connait une ligne de chant limpide, et une projection assurée, peut-être manquait-il un peu d'assurance au soir de la première. Il faut dire qu’en face, dans le rôle du traître Norfolk, Ruzil Gatin use sans retenue de son timbre de voix très particulier à la limite du fausset associé à une puissance impressionnante. Enfin, même si sa présence est épisodique, Samy Camps a tenu la partie de Guglielmo avec précision, diction et projection. Saluons aussi l’Enrico discret mais efficace de Floriane Hasler.
Roberto Rizzi Brignoli © Christian Dresse
Devant le chœur, méritant une fois de plus, de même que son chef Emmanuel Trenque, les bravi inconditionnels, l’orchestre de l’Opéra livre, dirigé par Roberto Rizzi Brignoli, l’une des prestations dont il a le secret de la qualité. Il faut dire que la formation travaille ici sur son répertoire de prédilection et que le maestro, qui le sait bien, à pris le temps de tisser des cordes soyeuses et de laisser s’exprimer pleinement vents et cuivres avec des attaques de cors tranchantes, des accents de clarinettes charnus et des flûtes élégantes. Le tout permettant une mise en valeur de premier plan de la musique de Rossini qui, de l’avis des spécialistes, a composé là l’un des ses ouvrages les plus importants. Une production fort bien accueillie au soir de la première, à laquelle succèdera, dans quelques jours, une autre œuvre présentée en version de concert : Giovanna d’Arco de Verdi, avec Yolanda Auyanet dans le rôle-titre (20, 23, 25 nov.). Vous avez dit bel canto ?
Michel Egéa
(1) www.opera-comique.com/fr/spectacles/karine-deshayes-friends
Rossini : Elisabetta Regina d’Inghilterra (version de concert) – Marseille, Opéra ; 8 novembre ; prochaines représentations 10 & 13 novembre 2022 // opera.marseille.fr/programmation/opera/elisabetta-regina-d-inghilterra
Photo © Christian Dresse
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