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La Gioconda d'Amilcare Ponchielli à l'Opéra de Marseille - Morts à Venise – Compte-rendu
Grand opéra haut en couleur, spectaculaire et riche d'airs magnifiques, La Gioconda (1876) reste bizarrement mésestimé en France : son entrée au répertoire de l'Opéra de Paris a dû attendre... l'an dernier ! Mais l'œuvre est chère au public du Midi, qui se souvient encore avec émotion de l'incarnation de Régine Crespin à Marseille, en 1967, et de celle, moins convaincante, de Montserrat Caballé à Orange, en 1983. Si l'unique ouvrage d'Amilcare Ponchielli (1834-1886) à remporter le succès hante, par ailleurs, les plus grande scènes mondiales (Maria Callas y fit ses débuts à Vérone en 1947, le Met de New York y distribua notamment Renata Tebaldi et Eva Marton), il pose, à l'instar du Trouvère, un problème de taille : il n'exige rien de moins que six des "plus grandes voix du monde" !
Inutile de dire que la cité phocéenne, cette année, ne pouvait revendiquer une telle ambition. Particulièrement en ce qui concerne le rôle-titre : oublions bien vite le nom de Micaela Carosi, soprano totalement privée de médium, quasiment inaudible dès lors qu'il ne s'agit plus de pousser l'aigu (était-elle malade, ce soir-là ? On voudrait le croire...). Sa rivale, Laura, rôle pourtant malaisé, tombe assez bien dans les cordes de Béatrice Uria-Monzon, qui y fait valoir son intensité et sa distinction coutumières. Dans la partie en or d'Enzo, où s'illustrèrent, entre autres, Caruso, Gigli et Bergonzi, Fabio Armiliato se voyait remplacé par Riccardo Massi - ténor au grain dense et homogène, à la ligne solide et stylée qui pâtit hélas d'une fâcheuse mollesse.
Le timbre rare et profond de la contralto chinoise Qiu Lin Zhang (La Cieca) faisait oublier un chant fruste au large vibrato, tandis que l'émission trop nasale de l'inévitable basse russe (Konstantin Gorny) ne rendait pas justice au noble Alvise. L'élément le plus musical de la distribution s'avéra être le baryton Marco di Felice, dans le rôle du vilain traître qui se répand en divines cantilènes (Barnaba) : certes, comme souvent dans ce rôle écrit haut mais réclamant une voix noire, la couleur paraît trop claire, mais phrasé, diction, impact dramatique et sens des nuances impressionnent de bout en bout.
Peu à dire des "petits rôles", précaires, tout autant que le chœur, du moins en début de soirée ; mais applaudissons à l'apport délicieux de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dans la "marine" de l'Acte II. Plus subtile qu'on ne le croit, l'écriture de Ponchielli, à mi-chemin de la grande houle verdienne et des pâmoisons véristes, réclame du chef un sens inné des transitions, une légèreté dans les récits (annonçant Falstaff) et une poigne dans les crescendos que n'affiche hélas pas toujours Fabrizio Maria Carminati - dommage, l'orchestre semblant cette fois plein d'enthousiasme ...
Côté scénique, Jean-Louis Grinda ne s'est pas caché vouloir jouer la carte du grand spectacle comme de la littéralité - nous sommes indubitablement à Venise (ses régates, ses masques, son carnaval, son doge, son lion) au XVIIe siècle (somptueux costumes de Jean-Pierre Capeyron mais décors patauds d'Eric Chevalier). Rien à attendre d'autre de la direction d'acteurs, très convenue, qu'une élucidation constante de l'intrigue, ce qui n'est pas peu pour un livret qu'Arrigo Boito a voulu encore plus complexe que son modèle hugolien (Angelo, tyran de Padoue) ! Le recours aux tréteaux de la commedia dell'arte pour animer la Forlane de l'Acte I, sans être d'une originalité folle, s'avère assez habile. Dans la célèbre Danse des heures, immortalisée par Fantasia, pas d'hippopotame ni d'autruche en tutu, mais des divinités en jupette et à plumes descendues d'un Olympe de carton - amusant, à défaut d'être créatif.
Coproduit par Liège, Nice et Saint-Etienne, ce spectacle sans âge mais pas déplaisant doit voyager jusqu'à Santiago du Chili : qu'en pensera le Nouveau Monde ?
Olivier Rouvière
Ponchielli : La Gioconda - Marseille, Opéra municipal, le 7 octobre 2014.
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