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L’Africaine de Meyerbeer à l’Opéra de Marseille - Mortel bonheur - Compte rendu
À Marseille, L’Africaine demeure à jamais dans l’histoire comme l’œuvre qui était en répétition lors de l’incendie qui détruisit totalement le Grand Théâtre le 13 novembre 1919. L’ouvrage de Meyerbeer n’en est pas pour autant blacklisté et, un peu moins de soixante ans après sa dernière représentation in loco, c’est avec lui que la saison lyrique s’est ouverte, avec Karine Deshayes en tête d’affiche d’une nouvelle production.
Karine Deshayes (Sélika) © Christian Dresse
« Ah, c’est la mort ! » lance Nélusko, son amant platonique, alors que la reine Selika, victime des effluves du mancenillier, expire dans ses bras en chuchotant « non, c’est le bonheur… », l’esprit tourné vers son amour impossible pour Vasco de Gama. Ainsi s’achève « L’Africaine » sur un promontoire stylisé face à l’océan, au terme de la longue agonie de l’héroïne qui, au demeurant, est plus indienne qu'africaine. Ceci au terme de trois heures et des poussières d'une représentation qui eût été plus longue si des coupures, plus ou moins judicieuses aux dire des interprètes eux-mêmes, n’avaient été pratiquées. Partition «rectifiée » par Roberto Rizzi-Brignoli, initialement prévu au pupitre, dont Nader Abbassi a hérité en dernière minute après une semaine de répétitions menées sans lui. Une première dans la carrière du chef égyptien qui a livré un marathon pour s’approprier l’ouvrage et le restituer de façon nuancée, entre puissance, exotisme et délicatesse, d’une battue assurée et précise à la tête d’un orchestre de l’Opéra aux couleurs idéales et aux instrumentistes attentifs.
© Christian Dresse
C’est à Charles Roubaud qu’il incombait de mettre en scène ce péplum musico-lyrique de mi-XIXe siècle (L’Africaine fut créée à Paris, salle Le Peletier le 28 avril 1865) mêlant amours contrariés, mariage forcé, esclavagisme, colonisation, poids et extrémisme des religions, ainsi qu’une puissante dose de féminisme puisque deux femmes que tout oppose, Sélika et Inès, dépasseront leur rivalités pour sauver l’homme qu’elles aiment : Vasco de Gama. Un vaste chantier scénique abordé avec sobriété par Charles Roubaud et son équipe. Tournant le dos à la reconstitution historique, les costumes d’époque son délaissés au profit des uniformes militaires du temps de Salazar ; costumes soignés, tout comme ceux des indiens, signés Katia Duflot. Le décor d’Emmanuelle Favre est minimaliste, efficace, tout comme les vidéos de Camille Lebourges qui vont à l’essentiel, de l’océan calme jusqu’au typhon, de l’intérieur du temple hindou jusqu’au promontoire avec vue sur mer… Dans cet environnement, Charles Roubaud installe les protagonistes avec efficacité mais on aurait aimé un peu plus de chaleur et de densité dans la direction d’acteurs. Minimalisme, donc, scéniquement, mais maximalisme, à la bonne heure, vocalement !
Poursuivant son périple sur les chemins « meyerbeeriens » Karine Deshayes, qui avait tiré le rideau sur la précédente saison marseillaise en étant Valentine dans Les Huguenots, le rouvre sur la nouvelle en incarnant « L’Africaine ». Cette Sélika, esclave et reine, rôle complexe psychologiquement et auquel elle donne de la chair et du sens. On sait les qualités de la mezzo-soprano française et elle en use pour offrir, au-delà de quelques passagères faiblesses de diction, une prestation idéale, entre émotion et colère, entre sensibilité et puissance. Quelle aisance, quelle précision au moment d’aborder les difficultés d’une partition qui se promène entre vérisme et bel canto. La ligne de chant est somptueuse et le bonheur total avec, en point d’orgue, une agonie qui fera date.
Hélène Carpentier (Inès) & Laurence Janot (Anna) © Christian Dresse
A ses côtés, Hélène Carpentier se devait d’être une Inès exemplaire et elle le fut. Diction parfaite, aisance sur la totalité du registre, chant sensible et présence scénique, la soprano a joué, vocalement, à égalité avec sa rivale en amour, conférant une belle homogénéité à l’intrigue. Quant à la Anna de Laurence Janot, elle a fait preuve de présence vocale et scénique assurant idéalement son rôle de suivante.
On comprends mieux après l’audition, pourquoi le deuxième titre usité de l’œuvre est Vasco de Gama. Omniprésent sur scène, l’explorateur est ici incarné par Florian Laconi en grande forme. Précision, puissance et projection sont pour le ténor autant de qualités, auxquelles s'ajoute une diction irréprochable. Volontaire, agressif et sûr de lui au moment de défendre sa volonté de partir à l’aventure, il sait faire preuve d’humilité et parfois de faiblesse au moment d’exprimer ses sentiments amoureux, devenant un homme fragile devant les deux femmes qui l’aiment.
Florian Laconi (Vasco) © Christian Dresse
Superbe prestation aussi, de Jérôme Boutillier qui donne voix et chair à Nélusko. Le baryton est d’une belle aisance, diction parfaite lui aussi, avec une expression volumineuse et idéalement projetée, conférant à son personnage une dimension dramatique idéale. Belle tenue, aussi, des comprimari Patrick Bolleire, Christophe Berry, François Lis, Cyril Rovery, Jean-Vincent Blot, Wilfried Tissot et Jean-Pierre Revest, qui complètent avec talent une distribution 100% française ! Un mot, enfin, pour saluer le chœur maison, « orphelin » d’Emmanuel Trenque, parti sous les cieux belges à La Monnaie, néanmoins superbement préparé pour la circonstance par Christophe Talmont, chef « intérimaire » de talent.
Sélika, Inès, Vasco et Nélusko : le quatuor n’a pas failli et fut salué avec enthousiasme par une salle qui, hélas, était loin d’avoir fait le plein. Dommage car c’est pourtant un événement et une découverte qui sont proposés là. L'Africaine tient l'affiche jusqu'au 10 octobre : n'hésitez pas !
Michel Egéa
Meyerbeer : L’Africaine – Marseille, Opéra, 3 octobre à l’Opéra ; prochaines représentations le 5 et le 10 octobre (20h.) et le 8 octobre 2023(14h30) // opera.marseille.fr/actualites/decouvrez-le-teaser-de-l-africaine
Photo (Karine Deshayes, Sélika & Florian Laconi, Vasco) © Christian Dresse
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